Un petit roman, un peu trop ambitieux pour sa taille
Je pense que l’on qualifie un texte de « roman » lorsqu’il dépasse les 100 pages. Toutefois, avec seulement 140 pages au compteur, c’est diablement rapide comme tempo pour développer une intrigue comptant autant de personnages.
L’île sombre en somme ne sort pas vraiment des sentiers battus mille et mille fois par cette chère Agatha Christie (décidément, c’est la mode en ce moment !). Six protagonistes : Josh l’agent immobilier à succès qui vient d’obtenir l’exclusivité pour la vente d’une petite île reliée au continent uniquement à marée basse grâce à une étroite bande de sable. Et ses cinq invités : Katherine, future cardiologue, femme ambitieuse et conquête récente de Josh (il l’a rencontrée quelques soirs auparavant) ; Clarisse, une amie d’enfance, et son fiancé Charlie ; Kevin, employé de Josh, celui-là même qui a conseillé à son supérieur de s’intéresser à cette île ; et sa femme Sarah.
L’histoire dure le temps d’une journée : le week-end avant la mise en vente du terrain, alors que Josh convie ces cinq individus sur la fameuse terre paradisiaque afin de fêter cette victoire immobilière. Malheureusement, les choses ne se passent pas comme prévu : la tension monte parmi les convives qui ne semblent pas bien se supporter les uns les autres. Cerise sur le gâteau, le passé tragique de ce petit lopin sablonneux refait inopinément surface pour perturber encore davantage la troupe belliqueuse : l’île serait dite maudite, se pourrait-il que ce soit vrai ? On dit pourtant que les fantômes n’existent pas…
Après ce synopsis légèrement dramatique, revenons à nos moutons. Premièrement, il faut mettre d’emblée les choses au point : Agatha Christie, on l’aime bien, mais il ne faut pas en abuser. La reine du crime a su se démarquer de ses contemporains à l’époque par son originalité. Mais c’était il y a près d’un siècle désormais, il est temps de passer à autre chose.
Le pastiche n’a de sens que quand il apporte quelque chose de neuf. Les Britanniques semblent nostalgiques de leurs stars d’antan, ils ne veulent pas lâcher leurs célébrités. Laissez-moi donc créer dans votre esprit l’image suivante : un gâteau à la crème nous réconforte, nous procure un plaisir coupable. Cependant, ce dernier n’est que passager et la gourmandise dont on se ressert ne tarde pas à écœurer.
Ainsi, je n’en dirai pas plus sur l’aspect « huis clos dans lequel six personnages sont livrés à eux-mêmes, coupés du monde sur une île seulement reliée à la terre ferme à marée basse »… Quant à la trame en elle-même, pour faire bref, elle paraît bien artificielle. L’auteure, après les avoir tirés au sort pour son roman, a placé an vrac sur son îlot tous les éléments du thriller « classique ».
Cependant, on n’a pas vraiment l’impression qu’elle ait eu une idée nette de la manière de les utiliser : chaque ficelle narrative est avortée. Quelques exemples : une île dite maudite qui n’a pourtant pas réellement d’impact sur la résolution de l’intrigue ; un passé tragique des lieux relaté soigneusement dans un carnet précieusement conservé (Tiens c’est pratique ça ! – Soit dit en passant, aucune explication n’est fournie sur son origine et force est de constater que sa rédaction est très obscure, tout comme sa signification. Je veux bien que cela donne un aspect sombre et mystérieux mais il ne faut pas en abuser… Petit exemple : « Alphonse peur de bête de l’île qui maltraite garçons. Aussi facile que cueillir fleur, broyer pétales dans sa main. » (p 124).) qui est découvert, lu puis oublié.
Nous avons bien évidemment, le sombre secret de l’un des personnages qui décide cependant de n’en faire part à personne (c’est bien utile) ; les rideaux qui bougent, les parquets qui craquent et qui ne sont pas plus exploités que ça. Et pour finir : les rêves étranges de mauvais augure, qui finalement ne présagent rien du tout : affaire classée sans suite…
Pour les personnages, c’est également très étrange ; ils ne se connaissent pas, ne s’apprécient pas et ne veulent pas être là (même Josh) : quel était donc le but de ce week-end improvisé ? Par ailleurs, ils sont tous plus détestables et timbrés les uns que les autres. À croire que l’humanité ne consiste qu’en un seul modèle. Enfin, admettons que l’effet ait été voulu : une répercussion de la malédiction de l’île.
Du côté de la langue : ça se lit vite, bien et ce n’est pas du tout déplaisant. Cependant, les phrases sont trop courtes à mon goût : trois ou quatre mots pour chaque, cela donne un côté un peu trop haché.
En somme L’île sombre se veut ambitieuse mais, la faute peut-être à son format restreint, toutes les pistes et amorces qui s’y enchevêtrent provoquent surtout la perplexité.
agathe de lastyns
Susanna Crossman, L’île sombre, traduit de l’anglais par Carine Chichereau, la Croisée, mars 2021, 144 p. – 16,50 €.