En neuf chapitres, Edward Carey retrace la vie de celle qui fonda le musée de cire Tussaud, musée toujours en activité aujourd’hui. C’est un destin ahurissant que décrit le romancier car la petite fille, née dans des conditions extrêmes, n’avait pas les atouts pour réussir.
Il expose avec verve, originalité, usant d’un bel art du récit, un style alerte appuyé sur de nombreux dialogues, certains truculents, les grandes étapes de la vie de cette dame qui s’est éteinte à l’âge de quatre-vingt-neuf ans.
Une mère de dix-huit ans, terrifiée, donne naissance, en 1761, à une très petite fille dans un village d’Alsace. Baptisée Anne-Marie Grosholtz, elle est appelée simplement Marie. Le père, un soldat, reviendra blessé et mourra rapidement. À cinq ans, Marie reçoit une poupée, un assemblage de cinq pièces de bois qu’elle appelle Marta. De son père, elle garde sa mandibule en métal ;: sa mâchoire a été emportée, en temps de paix, par un tir avec un canon endommagé.
Dans une situation d’extrême pauvreté, sa mère trouve un emploi de domestique chez le docteur Philippe Curtius, à Berne. L’accueil est étrange. C’est un homme très grand, très maigre, très réservé. Il confectionne, en cire, des pièces d’anatomie pour l’hôpital. La mère de Marie supporte difficilement ces fabrications. Aussi, quand il lui demande de l’aider dans ses travaux, elle préfère se pendre. C’est Marie qui devient l’assistante, qui va apprendre le dessin, la mise en œuvre de la cire.
Parce qu’il a l’idée de faire un moulage de la tête de Marie, son activité va évoluer. C’est d’abord le médecin-chef qui veut son modelage, lançant une mode. Mais celui-ci en prend ombrage et cesse de faire travailler Curtius. C’est la rencontre avec Louis-Sébastien Mercier qui les amène à Paris où ils pourront avoir un meilleur public.
Guidés par Mercier, ils s’installent chez la veuve d’un tailleur. Celle-ci traite Marie en domestique et la fait vivre dans des conditions très dures. Et puis, c’est un parcours extraordinaire entre Versailles où elle initie la plus jeune sœur de Louis XVI, la prison, la menace de la guillotine, le mariage avec François Joseph Tussaud, un panier percé ivrogne, la naissance de deux fils et le départ pour Londres…
Le parcours stupéfiant de cette orpheline met en lumière une belle galerie de personnages historiques que ce récit exprime avec l’arrivée et le séjour à Paris, la cour à Versailles, les acteurs de la Révolution. Marie se voit confier la réalisation des masques des personnalités de l’époque, ceux mortuaires des assassins, des hommes politiques guillotinés… C’est avec force détails et un réel approfondissement historique qu’Edward Carey livre le parcours de cette vie hors du commun.
Marie a connu une existence particulièrement mouvementée entre petits bonheurs et grands drames, entre rencontres enrichissantes et destructrices.
Le texte est agrémenté de très nombreux croquis de la main de l’auteur, croquis anatomiques, portraits, représentations d’outils et accessoires.
Tel que le présente Edward Carey, le récit de la vie de Madame Tussaud, surnommée Petite à cause de sa taille, se dévore comme un polar car on y trouve presque tous les ingrédients du genre.
serge perraud
Edward Carey, Petite (Little), traduit de l’anglais par Jean-Luc Piningre, cherche midi, coll. “Ailleurs”, avril 2021, 576 p. – 23,00 €.