Ils circulent dans les angles morts de la vision humaine
Alain Damasio s’est imposé dans le monde de la Science-Fiction avec La zone du dehors puis La Horde du Contrevent, une bombe littéraire à fragmentation parue en octobre 2004. Depuis, sauf quelques textes épars, le romancier restait discret.
Aussi, la parution des Furtifs était très attendue. L’ouvrage est disponible en poche dans la collection Folio SF.
Dans un Cube entièrement blanc, un homme tente de voir un Furtif, une entité inconnue, une forme de vie mystérieuse dont la présence dans les lieux a été détectée et avérée. Après de nombreuses contorsions, il lui semble voir une silhouette. Lorca Varèse vient de passer avec succès son examen d’entrée au RECIF (Recherches, Etudes, Chasse et Investigations Furtives). Il va intégrer une meute avec Hernan Agüero, l’ouvreur, Saskia Larsen la traqueuse phonique et Nèr Arfet le traquer optique.
À quarante-trois ans, ce sociologue pour communes autogérées, se reconvertit. Sa vie a basculé lorsque Tishka, sa fille de quatre ans, s’est volatilisée de sa chambre sans laisser aucune trace. Il est persuadé qu’elle est devenue une Furtive…
Le romancier installe son intrigue dans un cadre de science-fiction et s’appuie sur une quête de nature plus policière avec la recherche de sa fille. Il pousse à l’extrême des tendances très actuelles comme la connexion à tout-va, la privatisation des salles de concert, des stades dont les noms s’attachent à des marques. La défection, la rareté du service public au profit de la privatisation, de la sous-traitance à des entités indépendantes. Trouvez dans le milieu rural un bureau de La Poste, Un moyen de transport SNCF…
La connexion à un réseau est devenue une obligation. La vie tourne autour de l’Internet. Plus aucune démarche ne se fait sans se connecter à un site. Quant aux Furtifs, n’existent-ils pas déjà quand on voit ces individus traverser des quartiers le smartphone à la main ? Ils avancent les yeux rivés à l’écran tels des Zombies.
Alain Damasio porte son propos en 2040 en France. Le pays est dominé par les multinationales qui rachètent les villes, LVMH possède Paris, La Warner détient Cannes et Orange… Orange… Ces nouveaux propriétaires privatisent l’éducation et les services urbains. Les habitants sont connectés par une bague électronique qui exauce leur moindre souhait, même avant de le formuler, à condition de pouvoir payer le meilleur forfait. Tout est pensé pour vous pousser à l’achat et la Gouvernance comme les multinationales vous espionnent sans vergogne.
Des mouvements insurrectionnels émergent, dans des zones autogouvernées, des ZAG, on prône la révolution.
Le romancier expose nombre d’idées politique, manifestes parfois virulent à l’encontre des riches, des puissants, des politiques, des propriétaires. Le récit propose une suite de courses-poursuites, des émeutes urbaines, des traques dans tous les réseaux numériques, électroniques, magnétiques qui alternent avec des moments plus intimistes, voire poétiques. Jouant sur une narration à plusieurs voix, on suit le parcours de six protagonistes hauts en couleur, chacun avec sa signature stylistique et graphique.
Une narration dynamique alliée à une langue riche suscite un intérêt immédiat.
Un roman aussi pourvu en péripéties, actions que réflexions et inventions.
Un Régal !
serge perraud
Alain Damasio, Les Furtifs, Folio “SF” n° 674, Février 2021, 944 p. – 11,50 €.