Avec cette série prévue en quatre tomes, Jérôme Le Gris propose une uchronie en retenant l’an mille pour point de bascule.
Cette date a généré, d’après les témoignages arrivés jusqu’à nous, une grande terreur dans la population.
Armen de Cilicie, modeste moine copiste et enlumineur, assiste depuis l’abbaye de Cluny à l’apocalypse quelques heures avant l’an mille. Les rares humains survivants se réfugient dans des grottes profondes alors que règne l’obscurité dehors. Après de très nombreuses générations, le temps de l’Obscure s’achève, le soleil est de retour et un nouvel ordre s’établit peu à peu.
Beaucoup plus tard, au sud de l’Anglia, un petit groupe d’humains arrive en vue du Fort des landes. Ils ont dû vaincre trois Écorcheurs, des monstres sanguinaires énormes ressemblant à l’ours. Primus de Moòr a tenu à venir pour vérifier quelque chose. C’est un lieu que se partagent deux clans. Ceux qui l’accompagnent le mettent en garde. Ils ne doivent pas être là car ce n’est pas à leur clan d’occuper les lieux. Primus n’en n’a cure et va visiter la Maison-Haute. Il revient triomphant car il a pu faire pousser de l’engrain. Il se réjouit parce que, à son avis, c’est la fin des famines. Il veut que les clans cultivent. Or, arrive Arghana, du clan des lunes. Ce sont eux qui doivent se réfugier au fort. Elle reste sourde aux arguments de Primus. Un combat s’engage. Le vaincu partira…
Un univers post-cataclysmique s’est organisé selon les cycles des chasseurs-cueilleurs. Les uns suivent les rennes rouges, d’autres les Aurochs et se réfugient, pour échapper aux nombreux prédateurs qui rodent aussi aux bords des troupeaux, dans quelques forts pour une saison. Les cycles, établis avec l’accord d’une structure chapeautant les clans, sont immuables.
Mais l’équilibre est fragile entre les grands froids qui déciment les troupeaux, les sècheresses qui empêchent de se nourrir de cueillette.
Aussi, lorsqu’un homme veut faire changer le mode de vie, faire pousser du grain pour réduire les famines, nombre s’opposent. Le changement est difficile à accepter. Toute proposition de réforme est aussitôt combattue, chacun apporte des raisons qui relèvent trop souvent de la peur de perdre ses privilèges. Et quand s’invite dans le débat, incontournable, une religion inventée de toutes pièces, quand une divinité régente tout : “…l’engrain, comme tout le reste, est un don de l’Aegis… il n’appartient pas aux hommes de décider où et comment il doit être donné.” …
Avec de telles sentences, faire évoluer les pratiques devient mission impossible.
Jérôme Le Gris construit un environnement riche, assène de belles idées pour son scénario et offre un récit bien différent de ceux habituellement commis dans le genre tout en privilégiant action, suspense et coups de théâtre. Le dessin revient à Didier Poli qui, avec son trait réaliste, léger, donne une dynamique à ses vignettes. Les nombreuses scènes de combat sont d’une belle facture et le traitement tonique de l’action emporte l’adhésion. Ses personnages, comme ses monstres, retiennent l’attention.
La mise en couleurs est signée par Bruno Tatti qui choisit des teintes neutres, voire ternes pour faire ressentir l’atmosphère de ce monde en devenir.
Un premier tome qui surprend par le traitement du sujet, la mise en place d’une intrigue bien construite, menée avec maestria et servie par un graphisme à la hauteur.
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serge perraud
Jérôme Le Gris (scénario), Didier Poli (dessin) & Bruno Tatti (couleur), Les Âges Perdus – t.01 : Le Fort des landes, Dargaud, mars 2021, 56 p. – 14,50 €.