Hubert Védrine, Dictionnaire amoureux de la géopolitique

Vive le réalisme !

Il y eut un temps où le simple usage du mot « géo­po­li­tique » entraî­nait une accu­sa­tion de nazisme et la mise au ban qui for­cé­ment l’accompagnait. Aujourd’hui, on voit un ancien ministre des Affaires étran­gères écrire un dic­tion­naire amou­reux de la géo­po­li­tique. La géo­gra­phie et l’histoire ont fait leur grand retour. On ne peut que s’en féliciter.

Hubert Védrine sai­sit l’occasion de ce dic­tion­naire aux entrées à la fois mul­tiples et ori­gi­nales pour non seule­ment peindre un tableau de notre monde mais aussi expri­mer ses propres ana­lyses sur les ten­dances géo­po­li­tiques actuelles. Il le fait avec l’immensité de sa culture, la hau­teur de son expé­rience, avec sou­vent un humour acide, teinté d’un sub­til mépris quand il se retrouve face aux élu­cu­bra­tions idéo­lo­giques de tout poil.

En vérité, Hubert Védrine a écrit son dic­tion­naire comme un vibrant plai­doyer en faveur du réa­lisme en poli­tique étran­gère, cette école de pen­sée si décriée, accu­sée de froi­deur, de cynisme et de com­pro­mis­sions par sa rivale aujourd’hui incar­née par l’école néo-conservatrice. D’où les beaux por­traits que l’ancien ministre fait de Kis­sin­ger, Tal­ley­rand et Riche­lieu. Il en vien­drait même à trou­ver des qua­li­tés à la poli­tique de Trump que pour­tant il n’épargne pas. Quatre ans sans guerre il est vrai…
Son ana­lyse de la folle poli­tique occi­den­tale à l’encontre de la Rus­sie est, sur ce point du réa­lisme, aussi claire que per­ti­nente. N’est-ce pas folie que de reje­ter Pou­tine dans les bras de Xi Jinping ?

Ses cibles, ce sont les néo-conservateurs amé­ri­cains et leurs relais fran­çais au Quai d’Orsay, dans le monde uni­ver­si­taire et média­tique (la notice sur BHL est toute en sub­ti­lité…), la poli­tique d’ingérence, le poli­ti­que­ment cor­rect et l’européisme devenu fou, même si Hubert Védrine reste un par­ti­san de la construc­tion euro­péenne, ce qui le conduit à par­ler à plu­sieurs reprises d’une sou­ve­rai­neté euro­péenne.
On peut d’ailleurs se deman­der s’il ne sous-estime pas l’impact du Brexit (qu’il qua­li­fie d’idiotie) sur la soli­dité, voire la sur­vie à long terme, de l’UE ainsi que les suc­cès que le Royaume-Uni ne ces­sera d’engranger après son départ.

Le monde décrit par Hubert Védrine est celui de la perte de puis­sance et du recul des Occi­den­taux, du lent éloi­gne­ment des Etats-Unis des rives de l’Europe et de la mon­tée des émer­gents, et sur­tout de la Chine, effrayante et bru­tale.
Face à un tel dan­ger, la géo­po­li­tique a plus que jamais besoin de réalisme.

fre­de­ric le moal

Hubert Védrine, Dic­tion­naire amou­reux de la géo­po­li­tique, Plon-Fayard, février 2021, 518 p. — 26,00 €.

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