Une sombre affaire d’espionnage au cœur de la Guerre froide
En plaçant son récit dans les années 1953/54, Carlo Lucarelli dépeint une Italie qui, bien que sortie du fascisme, conserve de sombres séquelles. Le pays est également en proie à la Guerre froide qui sévit depuis quelques années entre le bloc de l’Ouest et celui de l’Est. Le romancier fait revenir le commissaire De Luca, le meilleur flic d’Italie. Il a, sous le régime fasciste, continué à faire son métier de policier en endossant par nécessité l’uniforme.
Ceci lui a valu, après la chute du régime, l’exécution de Mussolini, d’être exposé aux foudres des justiciers, de ces tondeurs de femmes bien agressifs pour faire oublier leurs trafics, leur collaboration passive. Depuis cinq ans, il est au placard sans être jugé, missionné quelque fois pour des affaires sans intérêt.
En mêlant l’arrivé de genres musicaux en Europe, tel le jazz qui télescopent les variétés traditionnelles, l’intervention d’étranges et inquiétants protagonistes, l’auteur articule une série de péripéties intrigantes. Il développe des rencontres, des rapprochements sentimentaux qui apportent un peu de légèreté dans sa sombre histoire.
C’est sous le pseudonyme de Morandi, ingénieur de profession, que l’ex-commissaire De Luca, est missionné par un obscur service romain, pour résoudre le meurtre de Stefania Cresca, à Bologne. Le 2 janvier 1954, en voulant rencontrer un individu pouvant apporter quelques lumières, son assistant et lui sont victimes d’un accident de la route provoqué. Sous le choc, De Luca sombre.
Le récit revient au 21 décembre 1953, quand, après avoir rencontré son assistant, le jeune Giannino, De Luca se rend dans le studio où Stefania a été retrouvée noyée dans la baignoire, lardée de coups. C’était la garçonnière de son époux, mort dans un accident de la route deux mois plus tôt. Le dossier établit lors des premières constatations a été fait à la truelle. De Luca relève nombre de faits troublants. Il veut vérifier le témoignage de celui qui a alerté la police. L’homme est absent mais son épouse apporte nombre de précisions. Elle révèle l’existence de Faccetta Nera, surnom donné par son mari à une jeune métisse qui venait régulièrement retrouver Mario Cresca. Son fils, près d’elle, dessine une sorte d’ogre, un homme à la tête énorme. Il finit par dire que c’est le portrait de celui qu’il a vu sortir au moment du meurtre. Des appels téléphoniques ont été passés et reçus, tous vers le même numéro, celui d’une pharmacie.
Lors de l’enterrement de Stefania, De Luca rencontre une ancienne prostituée ayant bien connu Mario et son épouse. De son bavardage, il retire que la victime s’était rapprochée d’Aldino, un joueur de saxophone dans l’ensemble de jazz monté par Mario. Aldino est également pharmacien dans l’officine appelée depuis le studio…
Autour de son ex-commissaire, le romancier fait défiler une belle théorie de personnages parfaitement campés et tout à fait dans le rôle qui leur est dévolu. Des figures émergent qui donnent l’occasion au romancier d’explorer des domaines moins policiers. Faccetta Nera est spécialement attachante, ainsi que ce policier, à quelques jours de sa retraire, qui a travaillé avec De Luca dans un autre temps.
Ce dernier est particulièrement déchiré entre sa situation actuelle, les liens avec le passé, un futur qui s’avère de plus en plus dangereux d’autant que rapidement les morts s’accumulent et sa volonté de réussir cette mission.
Carlo Lucarelli conjugue avec maestria une enquête policière qui semble classique mais qui va révéler des ramifications avec l’univers dangereux de l’espionnage et celui factice du monde musical et mondain.
serge perraud
Carlo Lucarelli, Une affaire italienne (Intrigo italiano. Il ritorno del commissario De Luca), traduit de l’italien par Serge Quadruppani, Éditions Métailié, coll. “Bibliothèque italienne — Noir”, février 2021, 208 p. – 19,00 €.