Robert Coulondre, De Staline à Hitler. Mémoires d’un ambassadeur

Entre deux enfers

Robert Cou­londre, ambas­sa­deur de France à Mos­cou, puis à Ber­lin à la fin des années 1930, a été un témoin pri­vi­lé­gié des évè­ne­ments menant à la Seconde Guerre mon­diale, et il sacri­fie à la trop rare tra­di­tion des mémoires diplo­ma­tiques.
Ses sou­ve­nirs, écrits avec élé­gance, apportent plu­sieurs éclai­rages sur cette époque cruciale.

Tout d’abord, il nous conduit au cœur de la machine diplo­ma­tique dont le fonc­tion­ne­ment varie selon qu’on se trouve sur les bords de la Seine, dans un Etat démo­cra­tique et libé­ral, ou à Mos­cou et à Ber­lin. Dans ces deux cas, le monde très tra­di­tion­nel de la diplo­ma­tie est bous­culé par la pré­gnance tota­li­taire et le rôle du Chef, cen­tral – pour ne pas dire unique – en matière de déci­sion.
Il est à cet égard révé­la­teur que jamais Cou­londre n’ait été reçu par Sta­line, qui n’occupe « que » le poste de secré­taire géné­ral du PCUS et non celui de chef d’Etat.

Ensuite, on ne peut qu’être frappé par la des­crip­tion aussi réa­liste qu’effrayante du régime et de la société sovié­tiques. Cou­londre fait preuve d’un œil pré­cieux pour sai­sir la réa­lité du tota­li­ta­risme à l’œuvre qui anéan­tit les indi­vi­dus et les sou­met à un contrôle per­ma­nent.
Le diplo­mate a par­fai­te­ment perçu la nature inhu­maine du sys­tème sta­li­nien et de la Grande Ter­reur, sans tou­te­fois voir qu’ils sont le pro­lon­ge­ment du léni­nisme, là où le Fran­çais croit déce­ler une dyna­mique ther­mi­do­rienne chez Sta­line, pour lequel il éprouve une sorte d’admiration qui laisse sans voix.

Enfin, Cou­londre appar­tient au groupe de diplo­mates – dont les vues contem­po­raines s’expriment aujourd’hui dans un courent his­to­rio­gra­phique – qui voyait dans l’alliance des démo­cra­ties libé­rales avec l’URSS le seul moyen d’arrêter Hit­ler et, ce fai­sant, de sau­ver la paix. En posi­tion d’accusé : l’anticommunisme vis­cé­ral des diri­geants et d’une par­tie de la société fran­çaise, même si l’ambassadeur recon­naît que l’action sub­ver­sive du Komin­tern n’a pas aidé à dis­si­per les craintes.
Mais c’est jus­te­ment là que le bât blesse. Car s’il ana­lyse bien les res­sorts de la poli­tique de sécu­rité col­lec­tive incar­née par Lit­vi­nov, il ne per­çoit mal la place cen­trale autant que per­ma­nente de l’idéologie, et la tac­tique sovié­tique des « pauses » dans la construc­tion du com­mu­nisme condui­sant à des ententes pro­vi­soires avec les capitalistes.

Et si sur le papier l’alliance anglo-franco-soviétique aurait pu frei­ner Hit­ler, il n’en reste pas moins que l’ambassadeur ne dit pas avec quoi l’Ouest l’aurait payée : l’abandon de l’Europe de l’Est à Moscou ?

fre­de­ric le moal

Robert Cou­londre, De Sta­line à Hit­ler. Mémoires d’un ambas­sa­deur. Edi­tion pré­sen­tée et anno­tée par François-Guillaume Lor­rain, Per­rin, février 2021, 378 p. — 23,00 €.

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