Il existe sans doute encore des âmes ingénues croyant que la Révolution française est née de l’indignation d’un peuple levé pour sa liberté. Comme Vénus naissant dans son coquillage.
La lecture du passionnant essai (et non du récit) d’Antoine Boulant sur les journées révolutionnaires qui ont ponctué la Révolution risque d’anéantir leurs illusions.
Certes, il existe des causes profondes à ces révoltes : hausse des prix, crises frumentaires, peur des complots, qui agissent comme des catalyseurs, diffusent une peur et une colère, lesquelles font le lit de l’insurrection.
Mais il faut compter aussi et surtout sur les meneurs, les harangueurs, les minorités agissantes, politisées ou en voie de politisation dans les sections et les clubs, et les vrais instigateurs, le 10-Août ayant sur ce point valeur d’exemple (il s’agit bien d’un coup d’Etat), sans oublier la corruption, utile arme de conviction et de mobilisation…
Rien ne serait possible non plus sans la déliquescence du pouvoir, soit parce que son chef ne possède plus la force morale de résister (Louis XVI), soit parce qu’il lui manque l’instrument de répression, l’armée étant politiquement déjà du côté des insurgés. A cet égard, les Thermidoriens, confrontés à la dernière journée révolutionnaire en l’An III, n’auront aucun scrupule à abattre le mouvement jacobin et à renvoyer à 1830 le prochain rendez-vous avec les émeutiers.
Déjà la Convention avait-elle essayé d’endiguer le flot tempétueux qui l’avait portée au pouvoir. Se révolter oui, mais pas contre la République ! Bien plus tard, les gilets jaunes l’apprendront à leurs dépens.
Antoine Boulant explique avec soin les enjeux de ces journées marquées par la violence (la plupart ont été sanglantes, le 10-Août culminant dans l’horreur) et par l’intrusion dans le cœur du pouvoir. Il s’agit, pour l’émeute, de « s’affranchir de la légalité et de pénétrer en armes et en masse dans un espace qui lui est interdit afin d’obtenir par la force la satisfaction de ses exigences »
Et on remarquera, encore une fois, que les factieux se recrutent non pas dans les franges les plus populaires, pour ne pas dire plébéiennes, de la société parisienne, mais bien dans la petite bourgeoisie, mère de toutes les révolutions, de 1789 à 1968, en passant par celle en chemises noires de 1922.
Le “peuple”, bien souvent, regarde ailleurs.
frederic le moal
Antoine Boulant, La journée révolutionnaire. Le peuple à l’assaut du pouvoir, 1789–1795, Passés/Composés, février 2021, 228 p. — 18,00€.