Denis-Pierre Filippi & Patrick Laumont, Terra Prohibita — “Premier acte”

Un album aussi trou­blant que fascinant 

Avec Denis-Pierre Filippi, on est sûr d’une chose, son scé­na­rio est inno­vant et d’une belle richesse, celui-ci sachant à mer­veille jouer avec dif­fé­rents niveaux de nar­ra­tion, dif­fé­rentes intrigues dans un cadre nova­teur bien que rele­vant, ici, du cou­rant Steam­punk.
S’inspirant, sans doute, de ce qui se passe actuel­le­ment, il ima­gine et pousse à l’extrême des muta­tions ren­dant de larges zones de ter­ri­toires inha­bi­tables, mais déve­lop­pant des régions aujourd’hui déser­tiques. Il laisse pla­ner le mys­tère quant aux débuts des catas­trophes, les pre­miers signes et symp­tômes, les causes et les rai­sons qui ont accé­léré ces chan­ge­ments. On trouve ainsi une cor­ré­la­tion avec nombre des pro­blé­ma­tiques très actuelles comme l’émergence de nou­veaux virus incontrôlables.

Mais son intrigue, aussi bien construite soit-elle, ne peut se déve­lop­per sans une gale­rie de per­son­nages appro­priés. Deux pro­ta­go­nistes se par­tagent la vedette, deux indi­vi­dus à la forte et éner­gique per­son­na­lité, Valé­rie et Dorian. La pre­mière est déter­mi­née à faire écla­ter la vérité et per­cer les arcanes de l’État, le second plus téné­breux, dis­si­mule de sombres mys­tères.
Ils gra­vitent dans un uni­vers où les secrets d’État sont for­te­ment ver­rouillés. Cette intrigue, menée avec tonus et dyna­misme, met en scène des acteurs aux per­son­na­li­tés mul­tiples, un appa­reil d’enquête réduit pour l’heure à l’impuissance, des conflits d’intérêts et des tra­hi­sons à foison.

En 1909, un monde nou­veau a été engen­dré par les muta­tions d’innombrables espèces deve­nues dan­ge­reuses. Dorian Sin­ger est à fois bio­lo­giste et exé­cu­teur de hautes-œuvres. C’est ainsi qu’il inter­vient au Sahara auprès d’un scien­ti­fique venant de décou­vrir une ano­ma­lie sur un pro­gramme. Il en pro­fite pour expé­ri­men­ter sur l’homme un pol­len dévo­reur de chair.
À Paris, l’inspecteur Mel­ville fait une entrée fra­cas­sante chez un Conseiller, le soup­çon­nant d’opérations occultes. De retour au com­mis­sa­riat, un col­lègue lui apprend que Mac Elroy, des Forces spé­ciales, veut le ren­con­trer. Il part sans le voir.
Dans la colo­nie anglaise, sur la côte bre­tonne, Valé­rie Ker­veillan et Gus regardent de loin les sau­ve­teurs s’agiter sur les décombres d’habitations tom­bées au pied de la falaise.

On retrouve Mel­ville au manoir de Dorian Sin­ger, dans le labo­ra­toire de celui-ci. Il est convaincu que c’est un tueur et, pour le confondre, il veut s’emparer d’un petit ani­mal pro­hibé. Pré­venu du dan­ger par Dorian, Mel­ville per­siste et se fait brû­ler la main mal­gré son gant de cuir.
Valé­rie est jour­na­liste et dirige une agence d’enquête. Elle reçoit, avec des membres de son équipe, une demoi­selle qui lui demande de retrou­ver son fiancé. Bien que celui-ci ait tou­jours affirmé tra­vailler pour le minis­tère des Conta­mi­na­tions, il est inconnu là-bas. De plus, elle ne sait pas où il était pour sa mis­sion. Mais, il a été impli­qué dans la conta­mi­na­tion du Grand Palais de Paris, un quar­tier mis en qua­ran­taine depuis. Valé­rie décide, avec quelques col­la­bo­ra­teurs, de s’y rendre illégalement…

Ce récit est mis en images avec un gra­phisme épous­tou­flant signé de Patrick Lau­mont pour le des­sin et d’Arancia Stu­dio pour les cou­leurs. Le des­sin des décors relève direc­te­ment des concepts de l’Art Nou­veau, ce style où la nature joue un rôle pri­mor­dial, où les lignes fluides, les ron­deurs, les ara­besques s’inspirent des courbes fémi­nines. Ce sont des vues pano­ra­miques d’une grande beauté, la cou­ver­ture en donne une belle idée. Les per­son­nages sont réa­listes et cam­pés avec un talent cer­tain.
Un pre­mier album remar­quable par les déve­lop­pe­ments de l’intrigue, l’élégance du gra­phisme, qui fait attendre une suite pré­su­mée aussi pre­nante, mais qui fait sur­tout regret­ter que la série ne soit pré­vue qu’en deux tomes.

lire un extrait

serge per­raud

Denis-Pierre Filippi (scé­na­rio), Patrick Lau­mont (des­sin) & Aran­cia Stu­dio (cou­leur), Terra Pro­hi­bitaPre­mier acte, Glé­nat, coll. “24x32”, jan­vier 2021, 48 p. – 13,90 €.

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