Un album aussi troublant que fascinant
Avec Denis-Pierre Filippi, on est sûr d’une chose, son scénario est innovant et d’une belle richesse, celui-ci sachant à merveille jouer avec différents niveaux de narration, différentes intrigues dans un cadre novateur bien que relevant, ici, du courant Steampunk.
S’inspirant, sans doute, de ce qui se passe actuellement, il imagine et pousse à l’extrême des mutations rendant de larges zones de territoires inhabitables, mais développant des régions aujourd’hui désertiques. Il laisse planer le mystère quant aux débuts des catastrophes, les premiers signes et symptômes, les causes et les raisons qui ont accéléré ces changements. On trouve ainsi une corrélation avec nombre des problématiques très actuelles comme l’émergence de nouveaux virus incontrôlables.
Mais son intrigue, aussi bien construite soit-elle, ne peut se développer sans une galerie de personnages appropriés. Deux protagonistes se partagent la vedette, deux individus à la forte et énergique personnalité, Valérie et Dorian. La première est déterminée à faire éclater la vérité et percer les arcanes de l’État, le second plus ténébreux, dissimule de sombres mystères.
Ils gravitent dans un univers où les secrets d’État sont fortement verrouillés. Cette intrigue, menée avec tonus et dynamisme, met en scène des acteurs aux personnalités multiples, un appareil d’enquête réduit pour l’heure à l’impuissance, des conflits d’intérêts et des trahisons à foison.
En 1909, un monde nouveau a été engendré par les mutations d’innombrables espèces devenues dangereuses. Dorian Singer est à fois biologiste et exécuteur de hautes-œuvres. C’est ainsi qu’il intervient au Sahara auprès d’un scientifique venant de découvrir une anomalie sur un programme. Il en profite pour expérimenter sur l’homme un pollen dévoreur de chair.
À Paris, l’inspecteur Melville fait une entrée fracassante chez un Conseiller, le soupçonnant d’opérations occultes. De retour au commissariat, un collègue lui apprend que Mac Elroy, des Forces spéciales, veut le rencontrer. Il part sans le voir.
Dans la colonie anglaise, sur la côte bretonne, Valérie Kerveillan et Gus regardent de loin les sauveteurs s’agiter sur les décombres d’habitations tombées au pied de la falaise.
On retrouve Melville au manoir de Dorian Singer, dans le laboratoire de celui-ci. Il est convaincu que c’est un tueur et, pour le confondre, il veut s’emparer d’un petit animal prohibé. Prévenu du danger par Dorian, Melville persiste et se fait brûler la main malgré son gant de cuir.
Valérie est journaliste et dirige une agence d’enquête. Elle reçoit, avec des membres de son équipe, une demoiselle qui lui demande de retrouver son fiancé. Bien que celui-ci ait toujours affirmé travailler pour le ministère des Contaminations, il est inconnu là-bas. De plus, elle ne sait pas où il était pour sa mission. Mais, il a été impliqué dans la contamination du Grand Palais de Paris, un quartier mis en quarantaine depuis. Valérie décide, avec quelques collaborateurs, de s’y rendre illégalement…
Ce récit est mis en images avec un graphisme époustouflant signé de Patrick Laumont pour le dessin et d’Arancia Studio pour les couleurs. Le dessin des décors relève directement des concepts de l’Art Nouveau, ce style où la nature joue un rôle primordial, où les lignes fluides, les rondeurs, les arabesques s’inspirent des courbes féminines. Ce sont des vues panoramiques d’une grande beauté, la couverture en donne une belle idée. Les personnages sont réalistes et campés avec un talent certain.
Un premier album remarquable par les développements de l’intrigue, l’élégance du graphisme, qui fait attendre une suite présumée aussi prenante, mais qui fait surtout regretter que la série ne soit prévue qu’en deux tomes.
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serge perraud
Denis-Pierre Filippi (scénario), Patrick Laumont (dessin) & Arancia Studio (couleur), Terra Prohibita — Premier acte, Glénat, coll. “24x32”, janvier 2021, 48 p. – 13,90 €.