Les semelles de mes charentaises vont craquer !
Pourquoi lisons-nous des thrillers ? Question intéressante, n’est-ce pas ?
Rares sont les ouvrages de suspense psychologique réussis et nombreux sont les romans ratés: « La fin était prévisible », « Les personnages n’avaient aucune consistance », « Les retournements de situation étaient honteusement tirés par les cheveux » ! Il y a bien toutefois, une raison qui survit à tous les échecs : l’envie de savoir ce qui s’est passé, le pourquoi du comment. Ainsi, tout thriller qui se respecte se doit de tenir un minimum son lecteur en haleine.
Cependant, ceci ne fut pas le cas dans La remplaçante de Michelle Frances. Le synopsis pourtant, promettait de belles choses… Carrie, productrice renommée dans le monde de la télévision, voit son poste soudain menacé lorsqu’Emma, jeune remplaçante brillante, est appelée à la rescousse le temps du congé maternité de la première. Tout le monde semble l’adorer : « Emma a de bonnes idées », « Emma est efficace »… Même Adrian, l’époux de la jeune maman, tombe sous son charme.
Coincée avec un nouveau-né, fatiguée et sans l’aide de son conjoint qui se désintéresse complètement de son fils, Carrie panique : Emma essaierait-elle de lui piquer son poste ? Ce soudain investissement cacherait-il autre chose de plus menaçant ?
Je confesse que ce pitch m’avait alléchée : la déception n’en a été que plus grande. Le rythme notamment constitue l’un des problèmes majeurs du livre à mes yeux : les 100 premières pages des plus de 300 que compte l’ouvrage ne sont qu’une chronique de mœurs urbaines contemporaines, sans aucun intérêt. Puis, soudain, l’un des secrets les plus importants est révélé sans préambule, comme si l’auteure s’était soudain rappelée qu’elle écrivait un thriller et qu’il était nécessaire de pimenter un peu son récit.
Après ces révélations, l’histoire s’étire en péripéties mal agencées et, 100 pages avant la fin, on devine l’ultime retournement de situation. Les personnages manquent de cohérence comme d’originalité : tantôt véritables anges, puis minables lâches. Leurs plans sont décrits comme des stratagèmes sans failles mais force est de constater qu’aucun n’est Monte-Cristo. Les mystères de l’intrigue, enfin, sont si peu étoffés qu’ils passent au second plan. En somme, un roman qui prétend apporter beaucoup mais qui ne fournit pas grand-chose.
Plus récemment, les mêmes éditions de L’Archipel ont fait paraître Le Sang des Belasko de Chrystel Duchamp. Pour ce livre-là, on ne peut pas vraiment louer l’originalité de l’histoire : un père mourant qui laisse à l’intention de ses enfants un testament énigmatique, où il leur révèle que leur mère, que tous pensait s’être suicidée, aurait en fait été assassinée. Les cinq enfants, réunis dans la maison familiale le temps d’une nuit, vont se retrouver emprisonnés dans la grande demeure.
Comme ils sont livrés à eux-mêmes et coupés du monde, les querelles de chacun vont refaire surface et les secrets, des plus inoffensifs aux plus atroces, vont être révélés au grand jour. Le sang des Belasko va couler sur la terre familiale et nul ne pourra prouver que ce n’était pas l’œuvre d’une malédiction…
Copie d’Agatha Christie ? Une intrigue en tout cas douteusement proche a priori de celle de Sa mort à l’agenda du duo Litvinov, que le hasard de mes lectures m’a amenée à lire et à chroniquer ici tout récemment. Veut-on donc me forcer à chausser mes vieilles charentaises à longueur de journée ? À force d’usage, les semelles pourraient un jour craquer…
Mais au moins, le suspens était au rendez-vous ! Malgré un dénouement loin d’être à la hauteur des attentes. (On ne peut pas avoir le beurre et l’argent du beurre.)
Après 200 pages de combats et de meurtres sanglants, les révélations sont expédiées en cinquante pages montre en main, et alors-là, tenez-vous bien. Les retournements de situation s’enchaînent les uns après les autres (peut-être pas toutes les dix pages mais presque), tous plus improbables les uns que les autres et si tirés par les cheveux que c’en est à se demander si l’auteure en possède encore quelques-uns. Et comme c’est dommage !
L’un des secrets familiaux offrait un potentiel intéressant à exploiter. Toutefois, quinze pages pour creuser une telle thématique, c’est fort peu. Quant aux personnages, il est difficile de faire plus « classiques » : l’alcoolique violent, le coureur de jupons, la voleuse cupide, la petite pourrie-gâtée prête à tout pour arriver à ses fins et enfin le bébé préféré, parfait, angélique et médiateur de la famille. Quelle fratrie de choc n’est-ce pas ?
Ainsi donc, un roman qui répond aux attentes élémentaires et tient le lecteur en haleine.
Toutefois, un cruel manque d’originalité dans l’intrigue et une fin à soulever le cœur à force de rebondissements.
agathe de lastyns
Michelle Frances, La Remplaçante, traduit de l’anglais (US) par Antoine Guillemain, l’Archipel, septembre 2020, 368 p. – 22,00 €.,
Chrystel Duchamp, Le Sang des Belasko, l’Archipel, janvier 2020, 384 p. – 18,00 €.