Quand le Fantastique… est fantastique !
En juin 1848, dans un port du Yorkshire, en Angleterre, un conflit éclate entre le docteur Jérôme Moreau et le capitaine de port qui ne veut pas qu’on décharge le voilier avant son inspection. Moreau obtempère mais, il ouvre une cage ordonnant à Clarence de chasser : “Il est à toi…“
Dans une gare, Percy accompagne sa mère, Mary Shelley, qui répond à l’invitation du Dr Moreau. Dans le compartiment, elle rencontre Charles Darwin, également invité. Ils évoquent le grand-père de ce dernier dont les idées ont été d’une grande influence sur les écrits de Mary. Un bédouin fait irruption et s’installe sans mot dire.
Sur une lande, Zaroff et Moreau observent d’étranges créatures qui chassent le cerf en dissertant sur Dieu et sur les hommes qui osent façonner, modifier la matière. Moreau rappelle qu’il s’est suicidé il y a vingt-sept ans et qu’il ne faut pas l’appeler John.
Au château, l’accueil est troublé par l’arrivée d’Emily Brontë sur un cheval emballé. Elle est rapidement rattrapée par le bédouin, costume qui cache Richard Burton, l’explorateur.
Et lorsqu’après un plantureux repas Moreau dévoile le sujet de ses expériences ainsi que ses résultats, ce n’est pas l’effet qu’il escomptait auprès de ces personnes qui ont osé, dans des domaines bien différents, franchir des limites interdites…
Après Zaroff qui se déroule en 2017, le scénariste remonte le temps et situe l’action du présent tome en 1848. Il réunit Mary Shelley, âgée de 51 ans, qui a acquis la renommée avec son roman Frankenstein, paru en 1818 de façon anonyme ; Richard Burton, un personnage authentique dont l’existence est sans doute plus riche que nombre d’aventuriers de fiction. Il adjoint Emily Brontë qui vient de faire paraître, sous pseudonyme, Les Hauts de Hurlevent. Il ajoute Charles Darwin qui a conçu une théorie sur l’évolution, théorie qu’il peaufinera jusqu’à la parution de L’Origine des espèces, son livre révolutionnaire en 1859.
Le docteur Moreau est le personnage central du roman de H.G. Wells paru en 1896 où l’auteur, un des plus grands écrivains de science-fiction, mène une réflexion sur les relations entre l’être humain et l’animal. Il pousse, de belle manière, la théorie de l’évolution de Charles Darwin en la mettant en pratique de façon chirurgicale au moment où, en Angleterre, un débat fait rage à propos de la vivisection.
Mais comment le scénariste peut-il introduire dans son récit un personnage qui ne verra le jour que quarante-huit ans plus tard ? C’est un des éléments de l’intrigue.
Ce second tome met en scène des personnages authentiques tous liés d’une manière ou d’une autre à une certaine transgression de la position bienpensante de la noblesse et de bourgeoisie britannique, pour une intrigue subtile et riche en émotions.
Le graphisme, qui est l’œuvre de Carlos Puerta, est magnifique. En couleurs directes, il met en pages des vignettes superbes, une série de portraits et de décors remarquables. Sa démarche est celle d’un historien, réunissant la documentation adéquate pour servir le scénario qu’il doit imager. On quitte la bande dessinée pour entrer dans le domaine de l’illustration.
Ce second tome (avant Shelley) est splendide, ouvrant sur une lecture passionnante, amenant des approfondissements riches en découvertes, et un véritable régal pour les yeux.
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serge perraud
Philippe Pelaez (scénario) & Carlos Puerta (dessin et couleurs), Maudit sois-tu – t.02 : Moreau, Ankama, coll. “BD”, janvier 2021, 64 p. – 15,90 €.