D’une actualité confondante !
Lorsque le présent copie l’Histoire, que les événements se répètent, que les mêmes mots ne désignent pas les mêmes réalités, quand conquête héroïque supplante ignoble massacre, ou l’inverse, selon ceux qui les prononcent, Wilfrid Lupano cherche à comprendre, à défaut de répondre. Mais, y-a-t-il une réponse correcte ?
Le scénario qu’il propose est basé sur deux personnages authentiques et des situations réelles : Prudence Crandall, une enseignante, et Nat Turner, un esclave noir.
En 1832, à Canterbury dans le Connecticut, un jeune garçon récite des extraits des Mémoires de Nat Turner, ce qui agace une femme qui étend du linge. Celle-ci est rejointe par Sarah, une jeune fille qui pose de multiples questions. Maria qui travaille pour le pensionnat dirigé par Prudence Crandall n’as pas le temps pour s’interroger comme le fait Sarah. Elle fait la cuisine pour vingt-cinq personnes et assure le ménage.
Sarah décide d’avoir des réponses et s’adresse à Prudence qui l’intègre dans la classe. La présence d’une fille noire, parmi la vingtaine de pensionnaires blanches, déclenche des réactions diverses et variées. Tous ont présent à l’esprit, les événements de l’an dernier, cette sanglante révolte d’esclaves dans le Sud, ces massacres perpétrés par ce Nat Turner au nom de Dieu.
Prudence poursuit son idée, se rend à Boston et fait paraître un avis dans la presse annonçant l’ouverture de son école aux jeunes noires. Les demandes affluent, mais les incompréhensions de la communauté blanche, qui retire ses filles, se muent en réactions violentes, en haine…
Les faits se déroulent quelque trente ans avant l’abolition “totale” de l’esclavage. Cependant, dans cette partie nord des États-Unis, les noirs sont libres mais n’ont aucun droit citoyen. De plus, il s’agissait de filles alors que les droits des femmes blanches restaient à conquérir. Il était inconcevable, pour la société bienpensante, que des femmes noires aient accès à l’éducation.
Le scénario décrit avec adresse les différentes phases, les diverses opinions, positions. De façon paradoxale, Wilfrid Lupano montre que ce sont les femmes les plus virulentes contre l’école et l’accès à l’éducation. La majorité d’entre elles n’ayant reçu que le strict minimum, elles n’en voyaient sans doute pas l’intérêt. Et quand la religion s’en mêle et que le puritanisme jette de l’huile sur le feu…
L’appareil judicaire est sollicité qui rend un verdict qui ne plaît pas. C’est l’escalade de l’inhumanité, de la haine jusqu’à un stade criminel.
Le dessin tout en rondeurs et couleurs directes est l’œuvre de Stéphane Fert. Il propose un graphisme synthétique, dépouillé, usant de peu de traits au profit de larges à-plats de teintes douces. Peu de décors, mais de nombreuses vignettes où il privilégie les personnages, leur expressivité.
En fin de l’album d’une belle présentation, un dossier détaillé établi par Joanie DiMartino, la Conservatrice du musée Prudence Crandall, apporte de nombreuses précisions sur ce que sont devenues les actrices du drame.
Avec Blanc autour, Wilfrid Lupano raconte, avec talent, une “petite” page d’histoire où la défiance, la violence entre races et la haine étaient déjà monnaie courante.
serge perraud
Wilfrid Lupano (scénario) & Stéphane Fert (dessin et couleur), Blanc autour, Dargaud, janvier 2021, 144 p. – 19,99 €.