Mauvaise pioche
D’ordinaire, chaque fois que j’ouvre un livre des éditions Sonatine, je me prépare à un bon, voire un très bon moment de lecture. Cette maison m’avait habituée à des textes distrayants, alliant efficacité narrative, sens du suspense et dont le lecteur ressort avec le sentiment d’une expérience littéraire aboutie.
Malheureusement, cette fois-ci, alors qu’il s’agissait de deux textes très différents, ma déception a été la même – pour des raisons toutefois propres à chaque opus.
La Mer sans étoiles avait pourtant un pitch assez séduisant : Zachary Ezra Rawlins, jeune étudiant assez introverti, trouve dans la bibliothèque de son université un livre mystérieux, composé de plusieurs récits, dont un qui parle précisément d’un épisode de son passé à lui. Intrigué, il décide d’en savoir plus et va découvrir un univers parallèle, fait de gardiens et de veilleurs, d’histoires innombrables…
Ce récit principal est entrecoupé d’une multitude d’histoires tirées de divers volumes qui passent entre les mains de Zachary et, on s’en doute, chacune a des corrélations et des résonnances avec la trame principale.
Censé être un hommage à l’imagination et à la puissance des histoires, on s’ennuie pourtant ferme à la lecture de ce roman. Ces histoires, qui toutes recourent à l’imagerie moyenâgeuse des jeux vidéo et de la fantasy, agacent paradoxalement par la pauvreté de l’imaginaire déployé et introduisent une rupture dans la narration principale que l’on veut bien admettre une fois ou deux, mais qui est tellement systématique qu’elle empêche de s’intéresser ni à l’histoire principale, ni aux autres.
« Vous voulez une autre petite histoire ? » demande l’un des personnages à Zachary, lequel donne exactement la réponse qui m’est venue : « Non ! »
Cette Mer sans étoiles supposée à la gloire des histoires démontre de façon ironique que l’accumulation de celles-ci ne suffit pas à faire un roman.
Dans Ce Lien entre nous, alors qu’il braconne le cerf sur une parcelle qui ne lui appartient pas, Darl Moody abat par accident Carol Brewer, dit Sissy, qui lui était venu ramasser du gingembre qui ne lui appartenait pas non plus. Au milieu de la nuit, Darl se tourne vers son ami le plus proche, Calvin Hooper, en lui demandant de l’aider à enterrer le corps. Hélas pour eux, le frère de Sissy, Dwayne, ne tarde pas à découvrir la triste vérité.
Or Sissy, cet être un peu benêt, c’était tout ce que Dwayne avait pour le rattacher à un semblant d’humanité. Sa mort violente déclenche en lui une soif de vengeance aux conséquences sanglantes.
D’une situation objectivement déchirante, (une enfance particulièrement difficile, la mort du seul être cher, un environnement – les Appalaches – pour le moins hostile), David Joy ne parvient à faire que du « sous David Vann », avec un roman qui ne réussit à susciter ni le frisson du suspense, ni l’empathie de la quête existentielle.
Peut-être en raison d’une complaisance dans le sordide, ou bien à cause d’un revirement quasi mystique dans le dernier tiers du livre. Le lecteur est d’autant moins enclin à passer sur ces défauts qu’il est régulièrement irrité par des tics de traduction ou des calques insupportables – dont le sempiternel « sur le porche », désormais si répandu, en dépit de l’absurdité de l’image, qu’on le trouve dans presque toutes les traductions de l’américain.
agathe de lastyns
Erin Morgenstern, La Mer sans étoiles, traduit de l’anglais (US) par Julie Sibony, Sonatine, octobre 2020, 656 p. – 23,00 €.
David Joy, Ce lien entre nous, traduit de l’anglais (US) par Fabrice Pointeau, Sonatine, septembre 2020, 304 p. – 21,00 €.