Erin Morgenstern, La Mer sans étoiles & David Joy, Ce lien entre nous

Mauvaise pioche

D’ordi­naire, chaque fois que j’ouvre un livre des édi­tions Sona­tine, je me pré­pare à un bon, voire un très bon moment de lec­ture. Cette mai­son m’avait habi­tuée à des textes dis­trayants, alliant effi­ca­cité nar­ra­tive, sens du sus­pense et dont le lec­teur res­sort avec le sen­ti­ment d’une expé­rience lit­té­raire abou­tie.
Mal­heu­reu­se­ment, cette fois-ci, alors qu’il s’agissait de deux textes très dif­fé­rents, ma décep­tion a été la même – pour des rai­sons tou­te­fois propres à chaque opus.

La Mer sans étoiles avait pour­tant un pitch assez sédui­sant : Zachary Ezra Raw­lins, jeune étu­diant assez intro­verti, trouve dans la biblio­thèque de son uni­ver­sité un livre mys­té­rieux, com­posé de plu­sieurs récits, dont un qui parle pré­ci­sé­ment d’un épi­sode de son passé à lui. Intri­gué, il décide d’en savoir plus et va décou­vrir un uni­vers paral­lèle, fait de gar­diens et de veilleurs, d’histoires innom­brables…
Ce récit prin­ci­pal est entre­coupé d’une mul­ti­tude d’histoires tirées de divers volumes qui passent entre les mains de Zachary et, on s’en doute, cha­cune a des cor­ré­la­tions et des réson­nances avec la trame principale.

Censé être un hom­mage à l’imagination et à la puis­sance des his­toires, on s’ennuie pour­tant ferme à la lec­ture de ce roman. Ces his­toires, qui toutes recourent à l’imagerie moyen­âgeuse des jeux vidéo et de la fan­tasy, agacent para­doxa­le­ment par la pau­vreté de l’imaginaire déployé et intro­duisent une rup­ture dans la nar­ra­tion prin­ci­pale que l’on veut bien admettre une fois ou deux, mais qui est tel­le­ment sys­té­ma­tique qu’elle empêche de s’intéresser ni à l’histoire prin­ci­pale, ni aux autres.
« Vous vou­lez une autre petite his­toire ? » demande l’un des per­son­nages à Zachary, lequel donne exac­te­ment la réponse qui m’est venue : « Non ! »

Cette Mer sans étoiles sup­po­sée à la gloire des his­toires démontre de façon iro­nique que l’accumulation de celles-ci ne suf­fit pas à faire un roman.

Dans Ce Lien entre nous, alors qu’il bra­conne le cerf sur une par­celle qui ne lui appar­tient pas, Darl Moody abat par acci­dent Carol Bre­wer, dit Sissy, qui lui était venu ramas­ser du gin­gembre qui ne lui appar­te­nait pas non plus. Au milieu de la nuit, Darl se tourne vers son ami le plus proche, Cal­vin Hoo­per, en lui deman­dant de l’aider à enter­rer le corps. Hélas pour eux, le frère de Sissy, Dwayne, ne tarde pas à décou­vrir la triste vérité.
Or Sissy, cet être un peu benêt, c’était tout ce que Dwayne avait pour le rat­ta­cher à un sem­blant d’humanité. Sa mort vio­lente déclenche en lui une soif de ven­geance aux consé­quences sanglantes.

D’une situa­tion objec­ti­ve­ment déchi­rante, (une enfance par­ti­cu­liè­re­ment dif­fi­cile, la mort du seul être cher, un envi­ron­ne­ment – les Appa­laches – pour le moins hos­tile), David Joy ne par­vient à faire que du « sous David Vann », avec un roman qui ne réus­sit à sus­ci­ter ni le fris­son du sus­pense, ni l’empathie de la quête exis­ten­tielle.
Peut-être en rai­son d’une com­plai­sance dans le sor­dide, ou bien à cause d’un revi­re­ment quasi mys­tique dans le der­nier tiers du livre. Le lec­teur est d’autant moins enclin à pas­ser sur ces défauts qu’il est régu­liè­re­ment irrité par des tics de tra­duc­tion ou des calques insup­por­tables – dont le sem­pi­ter­nel « sur le porche », désor­mais si répandu, en dépit de l’absurdité de l’image, qu’on le trouve dans presque toutes les tra­duc­tions de l’américain.

agathe de lastyns

Erin Mor­gens­tern, La Mer sans étoiles, tra­duit de l’anglais (US) par Julie Sibony, Sona­tine, octobre 2020, 656 p. – 23,00 €.
David Joy, Ce lien entre nous, tra­duit de l’anglais (US) par Fabrice Poin­teau, Sona­tine, sep­tembre 2020, 304 p. – 21,00 €.

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