Eloge de la politique, Vincent Trémolet de Villers (dir.)

La poli­tique toujours !

En ces temps de saint-simonisme triom­phant où seuls l’économie et ses chiffres froids comptent, il est bien de rap­pe­ler « la gran­deur et la néces­sité de la poli­tique ». En cette époque de nau­frage de la culture, où le savoir se réfu­gie dans des iso­lats – comme ce fut le cas au début du Moyen Age avec les monas­tères – il est néces­saire de rendre acces­sible au plus grand les grands pen­seurs.
Dans cette nuit obs­cure dans laquelle nous entrons, où le passé est mas­sa­cré et réécrit, il est de salu­brité publique de reve­nir aux pen­sées qui for­gèrent notre civi­li­sa­tion à l’agonie. Le livre, conduit par Vincent Tré­mo­let de Vil­lers, se fixe comme mis­sion de répondre à ces défis et il y réus­sit, en offrant une série de lec­tures des grands pen­seurs occi­den­taux et d’une de leurs œuvres.

La nature même du livre ne nous per­met pas d’évoquer l’ensemble de ces riches contri­bu­tions, par­fois très per­son­nelles, mais tou­jours robo­ra­tives et toutes en lien avec le temps pré­sent. Car rien n’est plus per­ma­nent que les idées. Le texte de François-Xavier Bel­lamy sur Pla­ton nous le montre dès le début.
Fran­çois Sureau nous rap­pelle avec Toc­que­ville que la prin­cipe démo­cra­tique enva­hit tout ; Alexandre Deve­chio avec Marx que la lutte des classes n’est pas ter­mi­née ; et Gas­pard Koe­nig avec Locke que l’homme croit s’appartenir à lui-même.

Mais l’on voit bien, au fil de la lec­ture, une sorte de fil conduc­teur, à savoir l’Etat, sa place, sa force, ses limites, et inévi­ta­ble­ment le rap­port que l’individu entre­tient avec lui. Cet Etat que Machia­vel, dit Guillaume Per­rault, veut dis­so­cier de la reli­gion, au nom du patrio­tisme pour lequel il est prêt à sacri­fier son âme, là où, note Jean-Marie Sala­mito, Saint Augus­tin vou­lait unir sur terre la cité ter­restre et la cité céleste avant leur sépa­ra­tion défi­ni­tive.
Cet Etat que Hobbes décri­vait comme un Lévia­than mais dans lequel Maxime Tan­don­net ne voit pas un proto-totalitarisme. Il fau­dra attendre Rous­seau pour cela, tou­jours très actuel dans sa défi­ni­tion du peuple, laquelle sus­cite le grand inté­rêt de Mathieu Bock-Côté.

La Révo­lu­tion fran­çaise fran­chira une étape déci­sive dans l’affirmation de l’Etat, de son emprise et ses oppres­sions. Du grand évé­ne­ment découlent une pen­sée foi­son­nante, des débats enflam­més, des frac­tures idéo­lo­giques majeures, depuis Burke dont Jacques de Saint Vic­tor décrypte la lumi­neuse pen­sée, jusqu’à Ben­ja­min Constant et Joseph de Maistre, ce der­nier replacé par Fran­çois Hugue­nin dans le camp des Modernes.

On l’a com­pris, ce livre ouvre des pers­pec­tives pas­sion­nantes, et on ne peut qu’en conseiller la lec­ture à tous ceux que les débats d’idées inté­ressent. Car rien n’est plus fra­giles que les liber­tés, insiste Nico­las Bave­rez en reli­sant Ray­mond Aron. Rien n’est plus dan­ge­reux que l’Etat au ser­vice du Mal, nous pré­viennent Chan­tal Del­sol avec Alexandre Sol­je­nit­syne, et Eugé­nie Bas­tié avec Simone Weil.
Rien n’est plus oppres­sant que ce mul­ti­cul­tu­ra­lisme et cet éga­li­ta­risme liber­taire deve­nus fous et contre les­quels Allan Bloom avait mis en garde, comme le décrit très bien Michel de Jaeghere.

Étrange monde que le nôtre en effet, et que Péguy avait décrit dès 1910 : « Le monde de ceux qui ne croient en rien, pas même à l’athéisme, qui ne se dévouent, qui ne se sacri­fient à rien […] Le monde de ceux qui n’ont pas de mys­tique. Et qui s’en vantent. »

fre­de­ric le moal

Eloge de la poli­tique, Vincent Tré­mo­let de Vil­lers (dir.), Tal­lan­dier, octobre 2020, 318 p. — 20,90 €.

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