Rachel Kadish, De sang et d’encre

Fasci­nant, érudit !

À Londres, à l’aube de XXIe siècle, Helen Watt, une uni­ver­si­taire proche de la retraite est contac­tée par un ancien élève. Son épouse a hérité d’une mai­son du XVIIe siècle. Au cours de tra­vaux, un arti­san a repéré une niche dis­si­mu­lée der­rière un pan­neau. Elle contient de très vieux docu­ments qui semblent écrits en hébreux. Il fait appel à elle connais­sant sa spé­cia­li­sa­tion et son éru­di­tion en his­toire juive.
Helen obtient du doyen l’aide d’un thé­sard, Aaron Levy un jeune Amé­ri­cain, pour éva­luer l’importance de cette geni­zah intacte et une vague pro­messe d’un achat par l’Université.
Outre quelques ouvrages, leur inté­rêt se porte sur une cor­res­pon­dance. Elle com­mence par une lettre émise de Londres le 15 novembre 1657 entre R. Moseh HaCoen Mendes, un rab­bin fraî­che­ment ins­tallé à Londres et Manassé ben Israel, un influent rab­bin por­tu­gais à Amster­dam.
Helen découvre une ini­tiale qui l’intrigue et arrive à la conclu­sion qu’il s’agit de celle du scribe car l’auteur est aveugle suite aux tor­tures endu­rées sous l’inquisition espa­gnole.
Ils s’attachent à la tra­duc­tion de ces docu­ments en hébreux, por­tu­gais, anglais, cas­tillan et por­tu­gais. Mais leur tra­vail com­porte de nom­breux ques­tion­ne­ments, les amène à de mul­tiples recherches. Helen acquiert très vite la cer­ti­tude que l’initiale des lettres de Mendes cache une femme, une orphe­line de la famille Velas­quez. C’est un bou­le­ver­se­ment car com­ment une femme, juive de sur­croît, a-t-elle pu écrire ces pages sur Dieu ? On sait la place qui leur est réser­vée dans cette reli­gion au XVIIe siècle. Helen et Aaron veulent comprendre.

Le récit détaille, par des allers-retours entre le XXIe et le XVIIe siècle, l’univers des Mar­ranes, ces Juifs espa­gnols qui devaient abju­rer leur reli­gion pour embras­ser la reli­gion catho­lique. Celle-ci avait été ins­ti­tuée reli­gion du royaume d’Espagne après que les Maures en soient chas­sés… ainsi que les Juifs !
L’alternance des cha­pitres qui s’entrecroisent en un éche­veau où Sha­kes­peare est très sou­vent cité, ainsi que Spi­noza, sus­cite l’intérêt. Cepen­dant, ces docu­ments sont trou­blants car, men­tion­nant le nom de Dieu, ils auraient dû être enter­rés telle une per­sonne humaine comme l’impose le troi­sième com­man­de­ment biblique.

On suit essen­tiel­le­ment les par­cours de deux femmes, Helen qui enquête et Ester Velas­quez qui prend une grande place dans le récit. Les dif­fé­rents mis­sives montrent les rela­tions qu’entretient Ester avec Sha­kes­peare, avec Spi­noza qui fut banni à vie de la com­mu­nauté juive.
La roman­cière s’attache à décrire la condi­tion des femmes au XVIIe siècle, ces femmes éru­dites et ins­truites. À tra­vers cette cor­res­pon­dance, les tra­vaux et recherches menés par Helen et Aaron, les comptes ren­dus que ce der­nier adresse à Marisa, sa com­pagne vivant dans un Kib­boutz en Israël, c’est l’histoire du judaïsme, des pré­ceptes de cette reli­gion inté­griste. Elle raconte éga­le­ment le sab­ba­tio­nisme, l’Inquisition, la peste, amène nombre de réflexions phi­lo­so­phiques et… l’amour.

Helen a une rela­tion équi­voque à la Judaïté à cause d’un ancien amant et voit dans Aaron un ava­tar de celui-ci. Mais l’auteur allège son défer­le­ment de don­nées his­to­riques avec l’introduction de nom­breux espaces humo­ris­tiques par les rela­tions entre les deux per­son­nages prin­ci­paux, par la confron­ta­tion de deux carac­tères qui vont finir par tendre vers un même objec­tif.
Rachel Kadish pro­pose un ouvrage dense par le nombre de pages mais sur­tout pour la somme d’informations qu’elle pré­sente et qui sont toutes à prendre en compte. Ce n’est pas une lec­ture à faire en écou­tant, par exemple, la télé­vi­sion comme on peut le faire avec nombre de page tur­ner anglo-saxons.

serge per­raud

Rachel Kadish, De sang et d’encre (The Weight of Ink), tra­duit de l’anglais (États-Unis) par Claude & Jean Dema­nuelli, cherche midi coll. “Lit­té­ra­ture étran­gère”, sep­tembre 2020, 572 p. – 23,00 €.

Leave a Comment

Filed under Chapeau bas, Essais / Documents / Biographies, Romans

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

*

Vous pouvez utiliser ces balises et attributs HTML : <a href="" title=""> <abbr title=""> <acronym title=""> <b> <blockquote cite=""> <cite> <code> <del datetime=""> <em> <i> <q cite=""> <strike> <strong>