Dans cet ouvrage, Christophe Guilluy poursuit sa réflexion sur les “catégories modestes“, abandonnées par la gauche et la droite depuis la fin des années 1970 (p. 10), et conduites à des choix politiques “populistes“ (RN en France, Trump aux Etats-Unis, Boris Johnson en Angleterre…), quand ce n’est pas à des mouvements de protestation comme celui des “gilets jaunes“.
Au plus près des changements sociaux, déjà en cours ou qui se préparent, le géographe observe la montée récente, parmi la population, de la conscience que les gens ordinaires, si longtemps traités avec mépris par les médias, sont non seulement indispensables, mais aussi hautement respectables et dignes de fonder le modèle d’une société meilleure que celle où nous vivons.
Guilluy fait nombre d’observations pertinentes comme celle-ci : “Si les classes populaires rejettent aujourd’hui la culture du monde d’en haut, c’est d’abord parce que ce monde les a rejetées mais aussi parce que cette culture “d’élite“ s’est effondrée. A quelques exceptions près, la culture des élites se résume au marché, à l’immédiateté et au divertissement“ (p. 46).
Dans le même ordre d’idées, il insiste sur “la corrélation entre l’effondrement intellectuel des élites et la répulsion qu’elles inspirent“ aux gens ordinaires (p. 173). La réflexion de l’auteur sur l’idéologie du progressisme, qui “n’est plus opérante“ (p. 84), sauf pour une minorité privilégiée, est également lumineuse.
Guilluy met en avant le concept orwellien d’honnêteté commune (“common decency“), conservateur dans le meilleur sens du terme, pour développer une réflexion, nourrie de statistiques, sur le fait que la grande majorité des gens, non seulement en France, mais dans le monde entier, souhaitent rester là où ils sont nés, et conserver la culture qui leur est propre, plutôt que de quitter leur pays pour un autre (seuls 4% de la population mondiale sont concernés par l’immigration, p. 154) ou leur village pour une grande ville ; cette majorité ne rêve pas non plus de changer de classe : “Contrairement à ce que pense la bourgeoisie (celle d’aujourd’hui comme celle d’hier), on peut naître, vivre et mourir en milieu populaire. On peut y “faire sa vie“, se cultiver, progresser ou stagner et y être heureux“ (p. 177).
En somme, l’avenir appartient, selon l’auteur, aux gens ordinaires des territoires “périphériques“.
Qu’on en soit convaincu ou pas, il est utile de lire ce livre, ne serait-ce que pour voir les choses sous un angle différent de celui qui prédomine dans les médias.
agathe de lastyns
Christophe Guilluy, Le Temps des gens ordinaires, Flammarion, octobre 2020, 208 p. – 19,00 €