Une vision moins paradisiaque des îles…
Le choix de l’archipel de Bréhat, pour un récit intense, dans une sorte de huis clos, est judicieux. Si ces îles sont magnifiques, elles se prêtent fort bien à une histoire en lien avec l’océan, impliquant quelques personnages qui évoluent dans un milieu restreint tant physiquement que psychiquement.
Florimond et Quentin, deux garçons de treize ans, font un feu dans une maison abandonnée pour capturer les papillons de nuit qu’ils collectionnent. Ils cherchent le fameux Sphinx à tête de mort.
En octobre 1987, Ambroise Corignan, un des trois gardiens du phare l’Œil-du-Diable, remplace un collègue malade. Voulant faire plaisir à Florimond, son fils, pour son anniversaire, il l’amène avec lui. Mais, suite à l’accident de l’autre gardien ils se retrouvent seuls sur ce phare ancré sur un bout de rocher pour trois jours. Alors que la météo était clémente, une tempête s’annonce.
Epuisé, Ambroise a laissé son fils veiller seul pendant deux heures. Apparemment tout s’est bien passé, comme Florimond l’affirme. Lorsque la tempête se calme, Ambroise monte vérifier que tout est en ordre. Lorsqu’il se penche par-dessus la rambarde de la plateforme, il distingue une forme, entre deux rochers, un corps dénudé, celui d’une femme vu le galbe des hanches.
Quelques semaines auparavant, alors qu’il rentrait bredouille d’une partie de pêche, il a trouvé Janet Bridgeton, sa compagne anglaise, inquiète car Betty, sa fille, qu’elle pensait avec lui, n’est pas rentrée. Malgré leurs recherches, l’adolescente reste introuvable.
La jeune fille qu’il repêche et soigne ressemble à Betty mais a perdu la mémoire. Est-ce Betty ? Si oui, où a-t-elle vécu ces quatre semaines ? Si ce n’est pas elle, où se trouve la vraie Betty et qui est cette inconnue ? Comment est-elle arrivée là, rejetée par l’océan ?
Si le romancier décrit ces îles exceptionnelles pour leur beauté, il détaille les phares bretons, explicitant leur fonctionnement, le travail de ceux qui les faisaient fonctionner avant l’automatisation. Il raconte, en prologue, que ne trouvant pas la construction qui lui plaisait dans les phares existants sur la côte bretonne, de ces bâtisses parmi les plus exposées, il crée l’Œil-du-Diable.
Il lui donne une réalité, s’inspirant des techniques utilisées pour des phares célèbres comme Ar-Men, cette tour construite en pleine mer sur un bout de rocher. Sachant que dans le langage des gardiens, les phares sur le continent se trouvaient au paradis, ceux sur les îles au purgatoire, il est facile de mettre ceux qui sur plantés sur un bout de rocher en enfer. C’est passionnant à découvrir.
Mais la galerie de personnages qui font vivre l’histoire est aussi attractive que possible. Celle-ci s’appuie, en fait, sur cinq protagonistes principaux, entourés de quelques individus aux profils singuliers, mais si authentiques. Autour d’Ambroise qui a mis des années à se remettre d’un deuil, de Janet, une anglaise arrivée récemment sur l’île et qui semble fuir un passé difficile, l’auteur anime deux adolescents et cette jeune fille amnésique sortie de nulle part.
Daniel Cario organise un ballet de pistes, d’informations plus ou moins tronquées, de situations équivoques, d’attitudes ambiguës, de choses cachées, tues, de coïncidences qui interpellent. Il organise, ainsi, une belle intrigue jouant avec les flashbacks, avec le changement fréquents de protagonistes, de points de vue, chacun livrant ce qu’il veut, quand il veut, jusqu’à une conclusion, une chute époustouflante mais parfaitement réaliste.
serge perraud
Daniel Cario, Les Chaos de Bréhat, Les Presses de la cité, coll. “Terres de France”, mars 2020, 512 p. – 21,00 €.