Fred Neidhardt & Fabrice Tarrin, Spirou chez les Soviets

Du dan­ger des extré­mismes, de tous les extrémismes…

Les auteurs placent l’action au début des années 1960, au cœur de la Guerre Froide – La crise des mis­siles de Cuba s’est dérou­lée entre le 16 et le 28 octobre 1962. Ils orga­nisent un récit qui prend en compte des actions, des réac­tions, des sen­ti­ments et des émo­tions en cours à l’époque, tant au point de vue col­lec­tif qu’individuel. Ils jouent avec les déca­lages, les dif­fé­ren­tiels entre ce qui était une règle à cette période et ce que l’on connaît aujourd’hui.

Alors que Spi­rou et Fan­ta­sio dorment dans le bâti­ment voi­sin, le compte de Cham­pi­gnac tra­vaille dans son labo au son du Sacre du prin­temps. Le son est sou­dain brouillé par une fré­quence que le comte recon­naît. Dehors, de sombres sil­houettes, consta­tant que leur cible est insen­sible au rayon GPS, passent au plan B. Spip, par contre est tou­ché et part.
Au matin, Fan­ta­sio réveille Spi­rou. Ce der­nier est étonné de ne pas avoir été réveillé par Spip. Il le retrouve enfoncé dans la neige et constate l’absence du comte. C’est en fouillant dans les car­nets du savant que Fan­ta­sio trouve la signi­fi­ca­tion du sigle GPS, ce sigle qui ter­mine une équa­tion ins­crite sur le tableau noir : Glo­bani Proyect Soviets­kiy. Spip, récon­forté, n’a de cesse de vou­loir par­tir vers l’est, vers la Rus­sie com­prend Spi­rou, dans ce pays où le comte a été emmené. Ils convainquent le patron de Dupuis de l’opportunité d’un grand repor­tage sur l’URSS. Celui-ci les fait équi­per de gad­gets par Mon­sieur R. Ils partent comme jour­na­listes de l’illustré Vaillant, l’équivalent du Jour­nal de Spi­rou, mais d’orientation com­mu­niste.
Cham­pi­gnac est entre les griffes de Lys­senko, un scien­ti­fique qui a isolé le gène du com­mu­nisme. Ce gène, en som­meil chez chaque indi­vidu, peut être activé avec une molé­cule conte­nue dans un cham­pi­gnon. Il veut for­cer le comte à lui pro­duire cette molé­cule en quan­tité pour que la terre entière soit communiste…

Si l’intrigue est tonique, fort bien ima­gi­née et menée bel­le­ment à son terme, l’album vaut aussi pour l’humour qui l’imprègne, qui se dégage autant des vignettes et de leurs détails, des actions que des dia­logues. Les auteurs font mille réfé­rences tant sociales que cultu­relles, mul­ti­pliant les clins d’yeux, met­tant en scène des situa­tions impro­bables mais si dro­la­tiques.
Ils penchent du côté de James Bond, donnent comme guide, lors de l’arrivée des héros à Mos­cou une cer­taine Nata­lia, un per­son­nage au fort tem­pé­ra­ment et qui s’est imposé dans une large par­tie de l’histoire. Ils amusent avec la rhé­to­rique com­mu­niste don­nant des mor­ceaux d’anthologie dans le genre avec, par exemple, le dis­cours du maire de Cham­pi­gnac. Les femmes occupent une place impor­tante entre Nata­lia, une ancienne ath­lète russe dopée aux sté­roïdes, Tanya, une petite fille volon­taire et La Tigresse du Gou­lag qui, bien que blonde pul­peuse, est d’abord la cheffe du camp.
Ils basent leur pro­pos sur une solide docu­men­ta­tion, met­tant en image des per­son­nages authen­tiques comme Lys­senko, qui s’opposait à la science géné­tique au motif que cette démarche rele­vait d’une idéo­lo­gie bour­geoise, J. Edgar Hoo­ver, le direc­teur du FBI, Lee Har­ley Oswald…

Ils mettent en scène le Gou­lag, lui don­nant un aspect humo­ris­tique alors qu’il s’agissait de la même machine à bri­ser que les camps SS.
Fabrice Tar­rin retrouve le gra­phisme de l’âge d’or de la BD franco-belge avec un trait éner­gique, une belle dyna­mique dans les mou­ve­ments des per­son­nages, une magni­fique expres­si­vité des dif­fé­rents protagonistes.

Avec Spi­rou chez les Soviets, les auteurs pro­posent un album tonique où, avec une grande liberté de ton, ils bro­cardent les extré­mismes, tous les extré­mismes en s’appuyant sur un régime qui a poussé loin les dérives dictatoriales.

serge per­raud

Fred Neid­hardt (sce­na­rio et story-board) & Fabrice Tar­rin (des­sin et cou­leurs), Spi­rou chez les Soviets, Dupuis, sep­tembre 2020, 56 p. – 12,50 €.

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