Nemo, le triomphe des mondes oniriques…
En 1905, Winsor McCoy publie dans l’édition du dimanche du New York Herald, un quotidien, Little Nemo in Slumberland que l’on peut traduire en Le petit Nemo au pays du sommeil. Chaque semaine, jusqu’en juillet 1914, l’auteur propose une planche qui conte les mésaventures d’un jeune garçon qui voyage dans ses rêves.
McCoy est l’un des fondateurs de la bande dessinée moderne par la variété des thèmes abordés, par l’imagination débordante dont il a fait preuve.
Frank Pé s’est emparé d’une partie de l’œuvre laissée par ce créateur hors-pair. C’est à la suite d’une sorte de défi lancé par Bernard Mahé, directeur de la galerie Le 9e Art, lui suggérant de faire ses propres pages de Little Nemo, qu’il relève le pari. Il invite le petit héros quelque peu relooké dans son univers poétique et naturaliste, le mettant en contact avec son propre univers surtout peuplé d’animaux.
Quelques quarante-deux planches sont parues en 2014 et 2016 dans une présentation de haute qualité aux Éditions Thot. Le premier opus est préfacé, excusez du peu, par François Schuiten, le second par Juanjo Guarnido.
Ce sont ces planches que proposent aujourd’hui les Éditions Dupuis. Pour étoffer l’opus, ont été intégrées des illustrations issues de la même thématique telles celles réalisées pour la ville de Cherbourg, pour le festival BD de Strasbourg, de Fort-Mardyck, pour le musée de la BD de Bruxelles…
Frank Pé, propose un petit garçon avec un look d’aujourd’hui, avec une belle chevelure brune et qui porte un regard malicieux sur ce monde onirique tout en poésie. Ce sont des récits qui ouvrent grand sur l’irrationalité car c’est la nature même des rêves que tout soit possible. Pimentées de psychanalyse, ces aventures offrent à Frank Pé ce qu’il apprécie le plus, la liberté sans réserves, les possibilités infinies, l’absence de liens rationnels tant dans les retournements de situations que dans les conclusions.
La succession des cases n’est dictée que par le plaisir, le goût de la surprise. Outre la légèreté, il introduit le double-jeu des vérités, travesties qui se cachent dans les songes. Entre un début et une fin où tout peut arriver, l’auteur fait déferler inventions, illusions, visions oniriques.
Il met en scène un bestiaire de folie, s’autorisant toutes les possibilités pour créer des bêtes hybrides. Puis introduit le Livre, nombre de réflexions sur les livres, sur l’écriture et sur l’acte d’écrire, imprègnant quelques planches d’une atmosphère de cirque, proposant par moment, un directeur tel un Monsieur Loyal.
Flip, un des personnages principaux de la série, accompagne le héros. Il est présenté comme un clown sans l’aspect négatif que celui-ci avait au début de la série de McCoy. Pé place également ce dernier dans ses histoires, le faisant intervenir comme dessinateur.
L’auteur, dont on connaît le talent, donne avec Little Nemo une facette nouvelle de sa capacité de création.
Et c’est un régal !
serge perraud
Frank Pé, Little Nemo, Dupuis, août 2020, 80 pages en couleurs directes – 35,00 €.