L’avantage avec les grands personnages de l’histoire, c’est qu’on arrive toujours à découvrir des éléments nouveaux ou à procéder à une relecture différente des sources existantes.
La monumentale biographie de Churchill par Andrew Roberts répond à ces deux critères.
L’auteur étudie le sauveur de la Grande-Bretagne à travers le prisme de son ambition personnelle dévorante et de cette conscience qui l’a habité très tôt de son incroyable destin : sauver Londres des flammes destructrices.
Ainsi n’a –t-il jamais douté ni renoncé.
Autre point central, très étudié par l’historiographie actuelle : son adoration pour son père dont la figure tutélaire ne l’a jamais quitté, malgré l’incroyable mépris exprimé à l’encontre de ce fils à la personnalité si excentrique à bien des égards.
Sa mort prématurée et son échec politique le poursuivirent toute sa vie.
Churchill ne serait pas Churchill sans cette maîtrise parfaite, magnifique et envoûtante de la langue anglaise, sans cette passion de l’écriture, sans cette immense culture historique qui a donné à ses analyses cet aspect visionnaire et sans ces mots d’esprit, ces capacités de réparties et cette éloquence qui firent de lui un maître de la démocratie parlementaire.
Andrew Roberts n’hésite pas à réviser certaines idées devenues des certitudes : il relativise son alcoolisme et ses dépressions, insiste sur ses critiques à propos de la politiques des Etats-Unis, le décrit comme un anglican non croyant. On le sent quelque peu gêné face à l’esprit colonialiste de Churchill et ses stéréotypes raciaux guère prisés aujourd’hui…
Mais faut-il rappeler qu’il est né en pleine époque victorienne, dans ce milieu aristocratique parfaitement décrit au début du livre et qu’il était imbu de la supériorité impériale de l’Angleterre ?
Très intéressantes sont les pages sur son projet politique intérieur, défini comme celui d’un Tory Democracy, héritier de Disraeli et marqué par de sincères préoccupations sociales, dont on trouve des traces aujourd’hui dans le programme de Boris Johnson – un autre grand homme politique présenté, comme Churchill, comme un clown guère sérieux…
Cet attachement à cette vision politico-sociale explique son passage des conservateurs aux libéraux, « trahison » qui lui valut des haines profondes et durables, plus que toute autre « excentricité » et erreur qu’il a commises dans sa longue carrière. Même son retour au parti conservateur et son exécration du socialisme n’y changèrent rien. Jamais ses pairs ne lui ont pardonné ses attaques contre la Chambre des Lords.
On s’en doute, la plus grande partie de l’ouvrage est consacrée à l’époque des années 1930 et de sa solitude, puis à celle de la Seconde Guerre mondiale magnifiquement documentée, expliquée et analysée. Et on ne peut que partager l’opinion de l’auteur quand il dit que Churchill n’a pas, à lui seul, gagné la guerre menée par son pays, même lors de la décisive bataille d’Angleterre.
Par contre, il l’a sauvé d’abord en lui insufflant le « souffle de la victoire » par ses discours et ensuite en écartant toute tentative de paix que les appeasers étaient encore prêts à signer.
Une biographie d’une telle densité que le lecteur apprend à chaque page, et que chaque jeune ambitieux devrait lire : « Vous voudriez vous élever dans le monde ? Alors travaillez pendant que les autres s’amusent. »
C’est ce que le grand Winston a fait.
lire une autre critique sur l’ouvrage
frederic le moal
Andrew Roberts, Churchill, Perrin, septembre 2020, 1320 p. — 29,00€.