Reconnaître le génocide vendéen… enfin !
Jacques Villemain persiste et signe. J’avais eu l’occasion d’écrire, lors de la parution de son premier ouvrage sur la question du génocide vendéen, que cette étude constituait la pièce manquante pour démontrer la réalité du crime.
Ce juriste, spécialiste du droit international, récidive avec un livre d’une remarquable pertinence, dans lequel il fait non seulement la démonstration de sa maîtrise absolument parfaite de la question et de l’historiographie, mais aussi d’un esprit d’analyse et d’une liberté de ton devenus bien rares aujourd’hui.
Non seulement Jacques Villemain reprend toute la question de la définition du crime de génocide et son histoire, en rejetant l’absurde argument de l’anachronisme (dans ce cas, on ne pourrait qualifier comme tel le génocide arménien de 1915, ce que la loi interdit), mais il se plonge dans les profondeurs du mécanisme infernal et de la chaîne de commandement qui ont conduit à l’élimination brutale de la population vendéenne, depuis l’esprit des Lumières qui exècre le paysan (« le fumier de la terre russe » dira Lénine…) jusqu’aux lois de la Convention, en passant par les représentants en missions et les militaires.
Une nouvelle fois, il pointe les vrais coupables : les membres du Comité de Salut Public à propos desquels il lance : « Radovan Karadzic est un plaisantin, comparé à Robespierre ou à Carnot ; Turreau et Huché sont des enfants comparés à Mladic, pour ne citer que ceux-là, qui avaient au moins pris des précautions pour dissimuler leurs crimes. » Précaution que ne prit pas le général Louis Grignon : « Mes camarades, nous entrons dans le pays insurgé, je vous donne l’ordre exprès de livrer aux flammes tout ce qui sera susceptible d’être brûlé et de passer au fil de la baïonnette tout ce que vous rencontrerez d’habitants sur votre passage. Je sais qu’il peut y avoir quelques patriotes dans ce pays ; c’est égal, nous devons tout sacrifier. »
Autre centre d’intérêt de l’auteur, la manière dont l’historiographie républicaine a traité la question, d’abord en assumant parfaitement les faits à la manière de Jaurès (on ne fait pas d’omelettes sans casser des œufs, même si, en l’occurrence, on parle de bébés arrachés au ventre de leur mère à coups de baïonnette), puis en les niant ou les relativisant (on reconnaît certes qu’en Vendée, tout le monde a été tué mais ce n’est bien évidemment pas un génocide).
Surtout, Jacques Villemain, de sa plume aussi belle qu’acérée, démonte avec vigueur et rigueur les arguments et les postures des robespierristes de la Sorbonne, comme Jean-Clément Martin affirmant que « la force fonde le droit » ( !!!), et dont la dernière défense aujourd’hui est de… nier l’’existence de la Terreur ! L’auteur n’a alors de cesse que de dénoncer cette entreprise de négationnisme en montrant que ces arguments, s’ils étaient utilisés au sujet de la Shoah, conduiraient leurs auteurs devant un tribunal.
Il y a bien eu génocide en Vendée parce que l’entreprise criminelle ordonnée par le Comité et mise en œuvre par l’armée correspond à tous les critères du droit international actuel et à « l’intention génocidaire » qui suffit à sa qualification, même si elle ne vise qu’un petit groupe (les hommes seuls ou les femmes vendéennes dont on sait à quel point les misogynes révolutionnaires les haïssaient). Les Jacobins ont à l’époque vraiment cru être parvenus à leur fin par l’usage de toutes les armes à leur disposition : le fer, le feu, la famine, jusqu’à envisager la déportation de la population et même l’utilisation du poison et… du gaz.
Et surtout ils l’écrivent dans leurs innombrables rapports, tant ils sont convaincus d’avoir raison, d’être le Bien. D’après l’auteur, si Turreau est rappelé à Paris sans être ennuyé, c’est justement parce que sa mission est accomplie et bien accomplie… Seule la fin de la Terreur met fin à toutes ces horreurs. Et encore faudra-t-il l’intelligence de Bonaparte qui comprend la motivation religieuse et non politique de l’insurrection, et le rétablissement du culte catholique, pour définitivement pacifier la région martyre.
Enfin, dans plusieurs chapitres très éclairants, Jacques Villemain analyse le refus de reconnaissance de ce génocide et argumente en faveur d’un geste qui, selon lui, honorerait la République au lieu de la salir puisque notre système politique actuel n’est en rien héritier de la Ière République, régime né d’un coup de force – dont illégal et illégitime – dictatorial, terroriste et prototalitaire. C’est exact. Ses analyses sur la démocratie totalitaire de 1793 – concept repris par le régime fasciste, remarquons-le – sont pénétrantes et démontrent que le génocide est tout sauf un accident. Mais les vigilants néo-robespierristes veillent depuis leur citadelle assiégée de la Sorbonne. Il faut sauver le citoyen Robespierre !
On l’aura compris, cette étude, d’une densité et d’une force peu communes, fait plus que jeter un pavé dans la mare. Elle constitue une étape supplémentaire et essentielle dans la connaissance de ce crime génocidaire qui annonce tous les charniers du XXe siècle. Des Lucs-sur-Boulogne à Oradour-sur-Glane. Des colonnes infernales aux Einsatzgruppen d’Ukraine. On ne cessera jamais de le répéter.
frederic le moal
Jacques Villemain, Génocide en Vendée, 1793–1794, Paris, Le Cerf éd., septembre 2020, 680 p. — 25,00 €.
Je n’aurais pas fait mieux… cf/ mon ouvrage , préfacé par Reynald Secher, “Une Etoile nommée Absinthe” aux éditions grégoriennes, mai 2017.