Jacques Villemain, Génocide en Vendée, 1793–1794

Recon­naître le géno­cide ven­déen… enfin !

Jacques Vil­le­main per­siste et signe. J’avais eu l’occasion d’écrire, lors de la paru­tion de son pre­mier ouvrage sur la ques­tion du géno­cide ven­déen, que cette étude consti­tuait la pièce man­quante pour démon­trer la réa­lité du crime.
Ce juriste, spé­cia­liste du droit inter­na­tio­nal, réci­dive avec un livre d’une remar­quable per­ti­nence, dans lequel il fait non seule­ment la démons­tra­tion de sa maî­trise abso­lu­ment par­faite de la ques­tion et de l’historiographie, mais aussi d’un esprit d’analyse et d’une liberté de ton deve­nus bien rares aujourd’hui.

Non seule­ment Jacques Vil­le­main reprend toute la ques­tion de la défi­ni­tion du crime de géno­cide et son his­toire, en reje­tant l’absurde argu­ment de l’anachronisme (dans ce cas, on ne pour­rait qua­li­fier comme tel le géno­cide armé­nien de 1915, ce que la loi inter­dit), mais il se plonge dans les pro­fon­deurs du méca­nisme infer­nal et de la chaîne de com­man­de­ment qui ont conduit à l’élimination bru­tale de la popu­la­tion ven­déenne, depuis l’esprit des Lumières qui exècre le pay­san (« le fumier de la terre russe » dira Lénine…) jusqu’aux lois de la Conven­tion, en pas­sant par les repré­sen­tants en mis­sions et les mili­taires.
Une nou­velle fois, il pointe les vrais cou­pables : les membres du Comité de Salut Public à pro­pos des­quels il lance : « Rado­van Karad­zic est un plai­san­tin, com­paré à Robes­pierre ou à Car­not ; Tur­reau et Huché sont des enfants com­pa­rés à Mla­dic, pour ne citer que ceux-là, qui avaient au moins pris des pré­cau­tions pour dis­si­mu­ler leurs crimes. » Pré­cau­tion que ne prit pas le géné­ral Louis Gri­gnon : « Mes cama­rades, nous entrons dans le pays insurgé, je vous donne l’ordre exprès de livrer aux flammes tout ce qui sera sus­cep­tible d’être brûlé et de pas­ser au fil de la baïon­nette tout ce que vous ren­con­tre­rez d’habitants sur votre pas­sage. Je sais qu’il peut y avoir quelques patriotes dans ce pays ; c’est égal, nous devons tout sacrifier. »

Autre centre d’intérêt de l’auteur, la manière dont l’historiographie répu­bli­caine a traité la ques­tion, d’abord en assu­mant par­fai­te­ment les faits à la manière de Jau­rès (on ne fait pas d’omelettes sans cas­ser des œufs, même si, en l’occurrence, on parle de bébés arra­chés au ventre de leur mère à coups de baïon­nette), puis en les niant ou les rela­ti­vi­sant (on recon­naît certes qu’en Ven­dée, tout le monde a été tué mais ce n’est bien évi­dem­ment pas un géno­cide).
Sur­tout, Jacques Vil­le­main, de sa plume aussi belle qu’acérée, démonte avec vigueur et rigueur les argu­ments et les pos­tures des robes­pier­ristes de la Sor­bonne, comme Jean-Clément Mar­tin affir­mant que « la force fonde le droit » ( !!!), et dont la der­nière défense aujourd’hui est de… nier l’’existence de la Ter­reur ! L’auteur n’a alors de cesse que de dénon­cer cette entre­prise de néga­tion­nisme en mon­trant que ces argu­ments, s’ils étaient uti­li­sés au sujet de la Shoah, condui­raient leurs auteurs devant un tribunal.

Il y a bien eu géno­cide en Ven­dée parce que l’entreprise cri­mi­nelle ordon­née par le Comité et mise en œuvre par l’armée cor­res­pond à tous les cri­tères du droit inter­na­tio­nal actuel et à « l’intention géno­ci­daire » qui suf­fit à sa qua­li­fi­ca­tion, même si elle ne vise qu’un petit groupe (les hommes seuls ou les femmes ven­déennes dont on sait à quel point les miso­gynes révo­lu­tion­naires les haïs­saient). Les Jaco­bins ont à l’époque vrai­ment cru être par­ve­nus à leur fin par l’usage de toutes les armes à leur dis­po­si­tion : le fer, le feu, la famine, jusqu’à envi­sa­ger la dépor­ta­tion de la popu­la­tion et même l’utilisation du poi­son et… du gaz.
Et sur­tout ils l’écrivent dans leurs innom­brables rap­ports, tant ils sont convain­cus d’avoir rai­son, d’être le Bien. D’après l’auteur, si Tur­reau est rap­pelé à Paris sans être ennuyé, c’est jus­te­ment parce que sa mis­sion est accom­plie et bien accom­plie… Seule la fin de la Ter­reur met fin à toutes ces hor­reurs. Et encore faudra-t-il l’intelligence de Bona­parte qui com­prend la moti­va­tion reli­gieuse et non poli­tique de l’insurrection, et le réta­blis­se­ment du culte catho­lique, pour défi­ni­ti­ve­ment paci­fier la région martyre.

Enfin, dans plu­sieurs cha­pitres très éclai­rants, Jacques Vil­le­main ana­lyse le refus de recon­nais­sance de ce géno­cide et argu­mente en faveur d’un geste qui, selon lui, hono­re­rait la Répu­blique au lieu de la salir puisque notre sys­tème poli­tique actuel n’est en rien héri­tier de la Ière Répu­blique, régime né d’un coup de force – dont illé­gal et illé­gi­time – dic­ta­to­rial, ter­ro­riste et pro­to­ta­li­taire. C’est exact. Ses ana­lyses sur la démo­cra­tie tota­li­taire de 1793 – concept repris par le régime fas­ciste, remarquons-le – sont péné­trantes et démontrent que le géno­cide est tout sauf un acci­dent. Mais les vigi­lants néo-robespierristes veillent depuis leur cita­delle assié­gée de la Sor­bonne. Il faut sau­ver le citoyen Robespierre !

On l’aura com­pris, cette étude, d’une den­sité et d’une force peu com­munes, fait plus que jeter un pavé dans la mare. Elle consti­tue une étape sup­plé­men­taire et essen­tielle dans la connais­sance de ce crime géno­ci­daire qui annonce tous les char­niers du XXe siècle. Des Lucs-sur-Boulogne à Oradour-sur-Glane. Des colonnes infer­nales aux Ein­satz­grup­pen d’Ukraine. On ne ces­sera jamais de le répéter.

fre­de­ric le moal

Jacques Vil­le­main, Géno­cide en Ven­dée, 1793–1794, Paris, Le Cerf éd., sep­tembre 2020, 680 p. — 25,00 €.

1 Comment

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One Response to Jacques Villemain, Génocide en Vendée, 1793–1794

  1. Brenot

    Je n’aurais pas fait mieux… cf/ mon ouvrage , pré­facé par Rey­nald Secher, “Une Etoile nom­mée Absinthe” aux édi­tions gré­go­riennes, mai 2017.

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