Joyce Carol Oates, Dé mem brer

Pour les ama­teurs de nou­velles horrifiques

Dé mem brer est un recueil de sept nou­velles de lon­gueurs, de style de sujet dif­fé­rents – et aussi d’intérêt inégal. Mais elles ont tou­te­fois un point com­mun : dans toutes, Joyce Carol Oates met en scène un per­son­nage fémi­nin en situa­tion de vul­né­ra­bi­lité.
Soit qu’elle soit obsé­dée par quelque chose qui la rend per­méable aux fan­tasmes les plus effrayants, soit qu’elle soit véri­ta­ble­ment mena­cée sans tou­jours s’en rendre compte ou sans vou­loir se l’avouer.

Ainsi dans la pre­mière nou­velle, qui donne son titre au recueil, Jill est aux prises avec son cou­sin (ou bien est-ce son oncle ?) qui exerce sur la jeune fille un mélange d’attirance irré­pres­sible et de révul­sion. Dans « Le Grand héron bleu », Clau­dia, veuve depuis peu voit son beau-frère indé­si­rable s’incruster chez elle et cher­cher lour­de­ment à la convaincre de se repo­ser sur lui.
Il y a aussi ces trois frère et sœurs, confron­tés aux actes incom­pré­hen­sibles d’un père violent (dans « Les Situa­tions ») et à qui la plus cou­ra­geuse de la fra­trie ne par­vient qu’à oppo­ser un « Oh ! Papa… pour­quoi ? » impuis­sant. Ou bien encore Brianna, veuve elle aussi et qui ne par­vient pas à se déta­cher de sa vie d’avant, au point de som­brer dans un cau­che­mar éveillée dans le « Vide sani­taire » (c’est aussi le titre de la nou­velle) de son ancienne maison.

Comme elle et comme d’autres (Ste­pha­nie, Alida…), ces femmes ou ces filles évo­luent sur une corde raide ten­due entre luci­dité, aveu­gle­ment et fina­le­ment, par­fois, folie quand l’obsession vire à la fan­tas­ma­go­rie.
Alors on ne sait plus si ce que l’on lit est le fan­tasme ou l’horrible réa­lité d’un uni­vers gothique et peu­plé d’esprits pour le moins torturés.

Joyce Carol Oates n’a pas son pareil pour fouiller dans les recoins de la psy­ché, ceux où ne se logent pas que des jolies choses. À l’image de la toute der­nière nou­velle (« Bien­ve­nue au 7ème ciel ! »), le lec­teur se demande sans cesse s’il est vic­time d’une blague lou­foque, s’il s’agit d’une his­toire d’horreur, du récit d’un sor­dide fait divers ou de l’imagination d’un être per­turbé par un évé­ne­ment trau­ma­ti­sant.
L’auteure amé­ri­caine sait perdre son lec­teur, elle sait aussi l’aider à se retrou­ver, de temps en temps, mais pas systématiquement.

Parfois, elle le laisse s’échiner à com­prendre seul ou à accep­ter de res­ter perdu.
Des méandres glauques à sou­hait pour les ama­teurs d’une écri­ture cise­lée et d’histoires horrifiques.

agathe de lastyns

Joyce Carol Oates, Dé mem brer, tra­duit de l’anglais (États-Unis) par Chris­tine Auché, Phi­lippe Rey, mars 2020, 288 p. – 19,00 €.

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