Franck Thilliez, Il était deux fois

Fuir l’insupportable réalité

Franck Thil­liez assoie son intrigue sur une patho­lo­gie, sur une réplique de l’organisme humain. Le cer­veau, pour se pro­té­ger face à un trau­ma­tisme, trouve le moyen de fuir l’insupportable réa­lité. Dans les cas les plus intenses, il déclenche une amné­sie psy­cho­gène aty­pique, un trouble, cepen­dant, rare.

Le roman­cier en frappe son héros et décrit avec minu­tie le retour à une conscience face à une situa­tion entiè­re­ment nou­velle pour lui. La chambre qu’il ne recon­naît pas, les vête­ments qui ne sont pas les siens, le fait d’être au rez-de-chaussée. L’épreuve est encore plus dure quand il croise son reflet dans un miroir.

Le 9 avril 2008, le lieu­te­nant de gen­dar­me­rie Gabriel Mos­cato arrive à l’hôtel de la Falaise, dans la val­lée de l’Arve. Il est à la recherche de Julie, sa fille de dix-sept ans, qui a dis­paru depuis trente-deux jours, plus d’un mois d’enfer pour son père. Il veut exa­mi­ner le registre des entrées, cher­cher des indices, véri­fier chaque iden­tité… L’hôtelier lui prête la chambre 29, au deuxième étage, le temps néces­saire. Épuisé, il sombre dans le som­meil.
C’est le bruit d’oiseaux s’écrasant sur le sol, sur les voi­tures, qui le fait émer­ger de ce qu’il pen­sait être un cau­che­mar. Il est déso­rienté car sa chambre donne sur l’extérieur, au rez-de-chaussée. Il ne recon­naît pas les acces­soires qui l’entourent. Quand il croise son reflet dans un miroir il découvre… un inconnu !

La per­sonne, à l’accueil, face aux nom­breuses ques­tions dont il la bom­barde, lui dit qu’ils sont le 6 novembre 2020 et que cela fait douze ans que sa fille s’est vola­ti­li­sée. Le capi­taine Paul Lacroix arrive sur les bords de l’Arve sans pou­voir évi­ter les corps des étour­neaux qui jonchent le sol. Une kaya­kiste a décou­vert, au bord de la rivière, le corps d’une jeune femme assas­si­née.
Après les pre­mières consta­tions, il reçoit un mes­sage de Gabriel. Celui-ci, en route pour la bri­gade, s’arrête vers l’attroupement de gen­darmes. Il recon­naît Paul, son ami bien vieilli et veut voir le corps, per­suadé que c’est sa fille. Mais Paul le recon­duit en lui disant : “Tu n’es plus le bien­venu ici. Tire-toi de cette ville.” À l’autopsie, le légiste retrouve dans l’estomac une pièce d’échecs, trop grosse pour être ava­lée par erreur. Julie ado­rait ce jeu. Mais pour­quoi Gabriel resurgit-il main­te­nant après huit ans d’absence ?

Avec son art consommé du récit, sa capa­cité ima­gi­na­tive remar­quable, il met en scène des péri­pé­ties à foi­son, sème des signaux qui inter­pellent, des indices qui inter­rogent, des révé­la­tions qui sur­prennent. Son apti­tude à construire des per­son­nages de chair et de sang, aux pro­fils psy­cho­lo­giques détaillés, appro­fon­dis, attache aux pro­ta­go­nistes du drame.
Mais per­sonne n’est par­fait, per­sonne ne repré­sente le Bien. Mais ceux qui incarnent le Mal sont gra­ti­nés. On touche la lie de l’humanité, la noir­ceur absolue.

L’auteur, autour de cette dis­pa­ri­tion, décrit les recherches menées par les proches, l’énergie des pre­miers temps, l’espoir sou­levé par des décou­vertes. Puis, c’est le décou­ra­ge­ment, la las­si­tude, l’accablement, la vie per­son­nelle qui reprend le des­sus.
De la Haute-Savoie au Nord de la France, de la Bel­gique à la Pologne,  Thil­liez mène son héros de décou­vertes dou­lou­reuses en révé­la­tions cruelles.

Il se livre à une ultime pirouette et réus­sit à faire replon­ger son lec­teur dans son pré­cé­dent livre : Le Manus­crit inachevé. Pré­cis, docu­men­tés, les élé­ments de son intrigue s’enchaînent natu­rel­le­ment tant elle est conçue avec minu­tie et rigueur.
Une fois encore, le roman­cier tisse des rebon­dis­se­ments qui amènent à une chute vertigineuse.

Ce nou­veau roman de Franck Thil­liez, le vingt-et-unième, est excep­tion­nel.
Avec sa rigueur d’ingénieur, il explore avec brio les failles, la noir­ceur et les tur­pi­tudes humaines, pour un récit addictif.

serge per­raud

Franck Thil­liez, Il était deux fois, Fleuve noir, coll. “Roman poli­cier & thril­ler”, juin 2020, 528 p. – 22,90 €.

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Filed under Chapeau bas, Pôle noir / Thriller

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