Jusqu’où une certaine presse peut-elle aller ?
Avec ces échanges, par le biais de chroniques, entre une femme et un homme, les romanciers dépeignent les milieux journalistiques de New York et tous les à-côtés des métiers de la presse. Ils détaillent la vie d’un journal et le monde des journalistes, depuis celui du directeur de la rédaction, jusqu’au grouillot obscur qui vérifie les faits énoncés dans les articles, le bas de l’échelle.
C’est aussi la vie mondaine, les invitations, les manifestations où se retrouvent des strates interlopes, une faune qui se targue de culture mais qui navigue plutôt dans une sous-culture, ne sachant quoi inventer pour se distinguer du lot. On ressent le côté superficiel des relations, on suit la difficile ascension professionnelle des hommes et celle encore plus difficile des femmes.
Lucas Callahan est fact-checkeur au magazine Empire. Il a quitté sa ville du Sud, rompu avec sa fiancée, abandonné le barreau pour venir à New York réaliser son rêve. Tant pis s’il habite dans un cube surchauffé et gagne un salaire de misère. Il est là depuis un mois et toujours fasciné d’avoir atteint son but. Il croit en son ascension professionnelle d’autant qu’il a été reçu, tout récemment, par Jiji, Jay Jacobson, le Directeur de la rédaction.
Bien que celui-ci sème la terreur parmi son personnel, il a reçu Lucas et l’a félicité lui disant qu’il voyait en lui un jeune homme passionné et investi, qu’il avait du potentiel pour accomplir de grandes choses à l’Empire.
Célibataire, Lucas passe ses soirées dans des bars. Il remarque une belle femme brune qui écrit sur une serviette en papier. Se faisant violence, il ose l’aborder en lui proposant une page du carnet qu’il a toujours avec lui. Celle-ci engage la conversation, se présente comme Carmen. Ils finissent la nuit chez elle. Au matin, il part discrètement pendant qu’elle dort encore.
C’est quelques jours plus tard qu’il découvre, dans l’Empire, la rubrique L’Hédoniste raffinée. Cette chronique, consacrée au sexe, est tenue par Carmen Kelly. Elle expose la nuit décevante qu’elle a passé avec Mr Nice Guy (M. Gentil). Lucas se reconnaît dans le portrait. Il rédige une réponse que le journal accepte de publier, voyant là une belle opportunité pour une suite de rubriques pimentées…
Si le libertinage est la base même du récit, les auteurs racontent les rapports au sexe entre femme et homme, les relations qui se nouent autour de l’accouplement, ce qui se passe pour l’un et l’autre : beaucoup de sensations, de sentiments ou l’absence d’émotions. Attention, ce n’est pas un roman où se succèdent les scènes érotiques torrides même si les quelques évoquées sont grivoises.
Et l’on suit avec intérêt les différents rebondissements, le résultat des rencontres, les liens divers que les deux héros cultivent, nouent, pour arriver à ce moment évoqué par Lucas dès les premières pages : “Des mois plus tard, quand il passerait au crible les ruines de sa carrière, essayant de localiser la bombe qui l’avait fait imploser…”
Servi par une galerie de personnages singuliers, ce récit se suit avec intérêt pour la qualité de son intrigue, pour les portraits fouillés des protagonistes, pour la peinture d’un milieu inexorable.
serge perraud
Jennifer Miller & Jason Feifer, Mr Nice Guy (Mr. Nice Guy), traduit de l’anglais (États-Unis) par Eva Monteilhet, cherche midi, coll. “Littérature étrangère”, juin 2020, 480 p. — 23,00 €.