Le pays des révolutions… hélas !
La France se fait une gloire, depuis plus de deux cents ans, d’être le pays de la Révolution. L’Unique. Celle de 1789. C’est un fait incontestable.
Mais à force de faire de cet événement, sans nul doute fondateur, l’année zéro de l’épopée de l’humanité (« Il nous est permis d’espérer que nous commençons l’histoire des hommes » dixit Mirabeau), on en vient à oublier d’une part le sens multiple de ce terme, et d’autre part que notre pays a connu avant et après 1789 des événements de type révolutionnaire. Le livre collectif dirigé par Patrice Gueniffey et François-Guillaume Lorrain le rappelle fort à propos.
Dans une introduction lumineuse libérée de toute entrave historiquement correcte, les deux auteurs ne nient pas la rupture représentée par la révolution de 1789 qui change la nature du mot (retour cyclique), s’attaque à la légitimité du pouvoir et rend impossible toute stabilisation politique « puisque ce que la volonté du peuple a fait, elle peut tout autant le défaire. » Avant la Bastille, on se révolte pour préserver un monde.
Après, pour en détruire un et en construire un nouveau. On retiendra aussi leur insistance sur l’absence justement de ce peuple pendant ces révolutions toujours menées par une minorité d’agités (réalité qui conduit de nos jours à la tyrannie de ces minorités) ainsi que leur regard sur notre société qui, depuis 1989, rejette la violence au bénéfice du fatalisme et de la soumission.
Il est bien sûr difficile d’évoquer l’ensemble des contributions de cet ouvrage collectif. Retenons donc seulement quelques points. Le livre commence avec la révolte d’Etienne Marcel et apporte un éclairage très enrichissant sur ce conflit entre la noblesse et le monde de l’argent, et qui a vu la première tentative hélas ratée de monarchie parlementaire en France.
Il s’achève avec une analyse d’une grande honnêteté intellectuelle sur la crise des gilets jaunes et qui dit tout de l’aveuglement des élites parisiennes, de la souffrance de ces Français méprisés et de leur haine pour Emmanuel Macron.
Entre les deux, on appréciera le récit de la révolte de la Ligue catholique contre Henri III qui vit les premières barricades parisiennes autant que celui des soulèvements des Croquants écrasés d’impôts par l’impitoyable cardinal ; l’analyse de la Fronde et de son projet politique alternatif ; l’enchaînement d’articles sur les fameuses journées révolutionnaires de 1789 à 1793, relevant toutes du coup d’Etat pur et simple, avec leur sinistre succession de massacres aussi odieux les uns que les autres ; la narration des révolutions du XIXe siècle qui connurent avec Juin 1848 et la Commune un paroxysme de haines politiques et surtout sociales sanglantes.
Puis arrivent celles du XXe siècle : le 6 février 1934 qui voit pour la première fois la révolte se retourner contre la démocratie parlementaire, mais sans prendre l’aspect d’une révolution fasciste, sans doute du fait de la victoire irrécusable de 1918. Et bien sûr la sublissime rébellion de Mai 68 et de ses étudiants gavés de paix et de prospérité.
Un dernier mot : le lecteur attentif ne peut qu’être frappé par le rôle que la bourgeoisie, petite et moyenne, joue dans plusieurs de ces révolutions.
En effet, à force d’associer cette classe à la réaction, selon le pesant et réducteur schéma marxiste, on en vient à oublier la dynamique révolutionnaire qui, à bien des reprises, l’a jetée dans des aventures révolutionnaires. Le fascisme italien ne fit pas exception à cet égard.
frederic le moal
Révolutions françaises, du Moyen Age à nos jours, Patrice Gueniffey & François-Guillaume Lorrain (dir.), Perrin-Le Point, février 2020, 356 p. — 21,00 €.