C’est un serf levé tôt qui découvre un ange aux ailes déployées dans un arbre. Effrayé, il se prosterne. Comme rien ne se passe, il se redresse et voit une traînée de sang. L’ange est mort.
À Carcassonne, Raimon de Termes a passé la nuit en prières. Il va être adoubé chevalier, mais pense à la belle Lucia qu’il a rencontrée récemment et qui lui a tout offert.
Dans la carrière de Petra-Talada, Jordi de Cabestan surveille la préparation du bloc de marbre qu’il va sculpter pour l’abbaye de Saint-Hilaire, le haut-relief d’un sarcophage destiné à abriter des reliques. Il attend le Boiteux qui devrait arriver du village avec des hommes pour le transport de l’énorme bloc.
Dame Aloïs, une Bonne Femme de Narbonne, commence sa journée au chevet d’un forgeron mourant. Avant de trépasser, il murmure que des anges vont mourir… qu’il va les tuer.
Lorsque Jordi arrive à l’abbaye, frère Lluc, un moine convers, se précipite pour annoncer que le Boiteux est mort. Il a été trouvé fixé à un arbre. Le sire abbé charge le sculpteur, qui a reçu une formation de clerc, d’enquêter sur ce meurtre.
Lors des fêtes qui suivent son adoubement, après un exploit de cavalier, Raimon se fait remarquer par Pons d’Arsac, l’archevêque de Narbonne. Quand le ministre de Dieu lui propose de l’accompagner lorsqu’il repartira, Raimon exulte, rêvant de gloire. C’est en chemin qu’ils sont prévenus par un moine de l’abbaye de La Grassa, de la découverte d’un homme mort, habillé en ange. Il s’agit du frère de Jordi. L’abbé demande du secours. Pons d’Arsac dépêche Raimon. Celui-ci va se trouver confronté au meurtre et impliqué malgré lui.
C’est aussi le cas de dame Aloïs quand on lui ramène Enric, son mari grièvement blessé.
Le choix de ces trois personnages principaux donne au romancier la possibilité d’enrichir son intrigue avec l’exploration de domaines différents tels que la sculpture, le catharisme et le christianisme romain, la vie des abbayes, la chevalerie et le parcours de nobliaux. Il détaille de façon très précise les domaines abordés, que ce soit dans leur pratique, dans le déroulement du quotidien, dans l’emploi des matières, dans le fonctionnement des institutions, dans les théories dogmatiques.
Il décrit, par exemple, la préparation d’un haut-relief, l’importance de la lumière sur les formes, les vêtements, les rapports entre les différentes couches sociales.
Le romancier dresse une présentation érudite des conceptions religieuses, les distinguos subtils entre la religion romaine, la Vraie Foi des Cathares, la conception religieuse des juifs, qui ne sont pas des mécréants aux yeux du pape, celle des musulmans : “…d’infâmes imitateurs et corrupteurs des Saintes Écritures.“
Il propose d’audacieuses arguties, joue avec des dialogues pétillants, malicieux, place des arguments à la limite de la mauvaise foi dans la bouche des défenseurs du catholicisme romain. Le contenu, les tournures des paroles de l’archevêque de Narbonne font merveille dans l’art de finasser, dans celui de la phraséologie diplomatique tout en émettant des horreurs.
L’auteur prend le même soin pour camper ses personnages, en définir le caractère, la psychologie, raconter, à travers leur passé, l’existence quotidienne de l’époque, en l’an de grâce 1165, en Occitanie. Henri-François Soulié propose un roman puissant qui éclaire un christianisme vécu de façon différente.
Car le fond du récit tourne autour de la religion omniprésente, écrasante, accablante, étouffante à cette période, le fanatisme. Il assène quelques vérités et n’est pas tendre quand il fait dire à un personnage que le meilleur outil de pouvoir reste l’exploitation de la foi.
Le romancier avait déjà intéressé ses lecteurs avec la trilogie co-écrite avec Thierry Bourcy qui se situe en Europe au début du XVIIe siècle, publiée chez 10/18, également avec Ils ont tué Ravaillac ou dans un registre plus léger avec les Aventures de Skander Corsaro, une série parue au Masque.
Avec Angélus, il offre un livre magnifique, érudit, à l’intrigue retorse qui amène en tension à une chute singulière.
serge perraud
François-Henri Soulié, Angélus, Éditions 10/18, coll. “Grands détectives”, mars 2020, 522 p. – 15,90 €.