Quand le bouddhisme prône la violence !
Les auteurs se mettent en scène dans ce roman graphique. À Rangoun, en Birmanie, ils regardent avec étonnement le portrait géant d’Aung San Suu Kyi sur une façade d’immeuble. Ils se remémorent brièvement le parcours de cette dame, son opposition aux militaires, son prix Nobel de la Paix, la victoire de son parti aux élections de 2015. Ils s’étonnent de son assourdissant silence quant au nettoyage ethnique des Rohingya musulmans.
Pour comprendre, ils sont venus sur place cerner la réalité politique du pays, les raisons de ces carnages, de ces déplacements de populations. Ils sont à la recherche de témoignages, essayant d’avoir une galerie de personnalités la plus large possible de manière à être exhaustif. Ils veulent retracer les différentes étapes qui ont permis l’émergence de cette situation, étudier la rhétorique de meneurs, de ces moines-bonzes qui délivrent des messages de haine, qui poussent des communautés à en repousser d’autres.
Ils parcourent le pays, rencontrent des militants pour les droits de l’homme, des gens qui s’étaient levés contre la dictature de la junte, des journalistes, des chauffeurs de taxis… A travers ces rencontres, ces interviews, parfois réalisées par personnes interposées car le militant est sous surveillance, les auteurs dressent un état des lieux. Ils arrivent à la conclusion qu’une idéologie nationaliste a pris le pas sur toutes autres opinions. Le socle est Ma Ba Tha, un mouvement incarné par le bonze Wirathu, une figure de proue de ces idées fondamentalistes. Il est particulièrement violent sur les réseaux sociaux lorsqu’il éructe, par exemple : “Si certaines femmes ne parviennent pas à trouver de mari, qu’elles prennent un chien : les chiens valent bien les musulmans.” C’est lui qui traite de pute une envoyée de l’ONU. Cependant, il est quelque peu mis à l’écart, son compte Facebook a été fermé et il est interdit de sermon. Mais la haine qu’il a semée est bien présente et s’amplifie.
La Ligue Nationale pour la Démocratie, la LND, dont fait partie Aung San Suu Kyi, a gagné les élections de 2015 et formé un gouvernement officiellement non militaire. Cependant, les promesses de campagne ne sont pas tenues. La constitution de 2008, conçue par les militaires, est toujours en vigueur. Elle les avantage. Les auteurs s’attachent également à la situation des femmes birmanes, un statut qui n’a rien à envier à ceux préconisés par des talibans et autres extrémistes. Si la constitution de 2008 prône l’égalité entre les sexes, elle précise bien que : “Rien ne doit empêcher la nomination d’hommes aux postes qui sont jugés convenables seulement pour les hommes.”
Avec ce roman-graphique, Frédéric Debomy et Benoît Guillaume proposent une restitution la plus exhaustive possible, faisant témoigner nombre de personnes de différentes ethnies, religions, professions, représentants de courants d’idées divers. L’opinion est très partagée quant à la position d’Aung San Suu Kyi, cette figure internationale qui, sous des apparences d’autonomie, semble piégée, quasiment sans pouvoir dans une pseudo démocratie. Pour certains, toutefois, elle est une sorte de dictatrice démocratiquement élue.
Les illustrations sont l’œuvre de Benoît Guillaume qui, à grands traits dynamiques, avec une mise en couleurs directes, donne un support très visuel aux propos de Frédéric Debomy. L’usage du feutre de couleur, du croquis à main levée pour saisir l’instantané donne une spontanéité intéressante. Une enquête passionnante qui éclaire parfaitement une situation chaotique où une minorité concentre les animosités d’une partie de la population sous couvert de religion.
serge perraud Frédéric Debomy (auteur) & Benoît Guillaume (illustrateur), Aung San Suu Kyi, Rohingya et extrémistes bouddhistes, Massot Éditions, mars 2020, 104 p. – 21,90 €.
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