Le pétrole n’a pas toujours été l’or noir qui régit notre civilisation. Le gaz qui pouvait s’échapper de poches était utilisé par des religieux comme dans le fameux temple des Adorateurs du feu d’Atechgah, à trente kilomètres de Bakou où une flamme a brûlé sans discontinuer pendant deux mille ans. L’Histoire ne dit pas qui a enflammé cette fuite de gaz.
Jusqu’à la fin du XIXe siècle, le pétrole n’intéresse pas grand monde. Dans le Caucase, il sourd à fleur de terre mais son exploitation végète. C’est un des frères Nobel, en 1872, qui presque par hasard va donner le coup d’envoi. Les frères Nobel sont en Russie où ils fournissent les armées du Tsar en armes et munitions. Robert est missionné pour explorer les forêts du Caucase car il leur faut du bois pour les crosses de fusil. Il découvre les champs pétrolifères et achète, en place des arbres, une petite raffinerie. En quelques mois ils créent la Branobel, la première compagnie pétrolière de l’histoire. Avec quelques innovations, le produit commence à se répandre dans l’Europe. Ils sont très vite rejoints par les Rothschild.
De l’autre côté de l’Atlantique, l’aventure a commencé en 1859 lorsque le colonel Drake, à un jour près face à l’échéance des banques, découvre un gisement dont il va faire… un médicament.
Un certain Docteur Livinston, à la réputation sulfureuse, vend aussi ce médicament. Il s’appelle en réalité Rockefeller Senior. C’est son fils, John, qui en rencontrant un chimiste anglais, se lance dans la construction d’une raffinerie. C’est le début d’une fulgurante ascension avec la création de la Standard Oil.
Et les applications se multiplient. Le pétrole sert à s’éclairer, se chauffer, faire tourner des machines et avec l’arrivée du moteur à explosion et de l’automobile… Il va régner sur le monde.
Jean-Pierre Pécau raconte les combats que mènent les pétroliers pour assurer leur approvisionnement, les pays qui doivent disposer de ce liquide miracle sans lequel la civilisation moderne ne peut tourner. C’est le récit des monopoles, des 7 sœurs, ces 7 compagnies qui vont se partager le pactole pendant presque un siècle. C’est le nerf de la guerre. Il sera déterminant pendant la Seconde Guerre mondiale.
Ce récit est parfaitement conté, montrant l’évolution du monde en fonction de cette huile qu’il faut absolument posséder. Explorant la géopolitique avec un sens aigu de la synthèse, le scénariste raconte et explique l’Histoire du XXe siècle et livre quelques prospectives. On apprend que le fameux baril dont on nous rebat les oreilles avec son cours boursier a une contenance de 159 litres. C’était celle d’un tonneau de bois de Pennsylvanie. Et c’est cette unité de mesure qui est encore en vigueur aujourd’hui.
Fred Blanchard assure un graphisme en noir et blanc avec une dominante de gris plus ou moins sombre. C’est splendide. Chaque vignette a fait l’objet d’un soin attentif où les détails sont nombreux. Le symbolisme, très fort, sert le propos à merveille.
La narration n’est faite que par cartouches. Les dialogues sont inexistants.
Cet album éclaire l’histoire du pétrole depuis ses premières exploitations jusqu’à aujourd’hui. Le scénariste met le projecteur sur les événements fondateurs et sur ceux qui ont marqué une évolution significative, sur les tournants qui ont amené le monde à être aussi dépendant de cette énergie, à vivre cette course à l’abîme.
Superbe ! Magnifique !
serge perraud
Jean-Pierre Pécau (textes) & Fred Blanchard (dessin), La Malédiction du pétrole, Delcourt, coll. “Hors collection”, mars 2020, 112 p. – 17,50 €.