Le récit se déroule en 1961. La “pacification” de l’Algérie bat son plein. Les contingents d’appelés fournissent le gros des soldats engagés dans des combats qu’en large majorité ils refusent.
Mais déserter n’est guère possible…
Joseph revient chez lui, dans la ferme de ses parents. Quand son père l’aperçoit, il se cache derrière un arbre. Il n’est pas le bienvenu. Si sa mère, par contre, est ravie ; son jeune frère le traite de lâche. Ce dernier est en fauteuil roulant suite à un accident avec le tracteur, pendant que Joseph était sous les drapeaux. Dans le village, il ne rencontre que peu de sympathie, tous lui reprochant d’avoir passé son temps dans des bureaux ou à l’État-major.
Les nombreuses lettres qu’il a envoyées à Mathilde ne lui sont jamais arrivées, ces lettres où il lui déclare encore et encore son amour comme lors de leur ultime rencontre, dans la grange, avant son départ. Il a appris la cuisine berbère et propose à René, le tenancier du seul café-restaurant du village, de l’aider en cuisine. Mais un client, entendant la proposition, s’offusque. Il ne veut pas manger “de la bouffe de bicot”.
Mathilde s’est promise au fils du boucher, alors qu’une autre Mathilde, qui assure la tenue du guichet du bureau des postes, est amoureuse de Joseph. Chez lui, son père lui reproche son engagement alors que l’accident de son frère, promis à une belle carrière cycliste, a posé d’énormes problèmes dans la ferme. Joseph est en butte à nombre de reproches jusqu’au moment où… Mais, il n’est pas rentré indemne et quand il croise un gamin qui court…
Avec cette histoire, le scénariste aborde de nombreux problèmes qui avaient cours dans le début des années 1960. D’abord, il y a ce conflit qui traumatise une génération de jeunes appelés, leurs parents, leurs épouses, leurs fiancées qui tremblaient pour ces garçons envoyés de l’autre côté de la Méditerranée avec une réelle crainte pour leur vie.
C’est aussi la situation des agriculteurs à la tête de petites exploitations qui, avec le Remembrement, voient leurs petites parcelles disparaître au profit d’une rentabilité qui a occasionné la disparition de nombreuses fermes.
Il met en toile de fond le Trouble de Stress Post-Traumatique (TSPT), ces troubles de comportement qui peuvent survenir après des événements dramatiques. Ils peuvent frapper des personnes confrontées à la mort, à une grave blessure. Mais ce sont aussi des soldats lors des conflits qui peuvent être les plus touchés, un trouble qui a été pointé depuis des millénaires sans lui donner une réelle importance.
Hérodote l’évoque pour la bataille de Marathon, on découvre des citations dans l’Odyssée, lors de la guerre de Cent Ans. Des médecins militaires s’y intéressent dans le sillage des guerres napoléoniennes. Malgré la négation, la réfutation des gouvernants et des chefs d’États-majors, c’est pendant la Grande Guerre qu’ils se sont révélés les plus nombreux. Les noms ont varié selon les pays. C’était l’Obusite en France, La Kriegneurosen en Allemagne… Il n’empêche que des soldats touchés ont été fusillés pour simulation, lâcheté.
Le scénariste place, cependant, comme thème principal le sacrifice et ce, à plusieurs niveaux de lecture. Avec ces thèmes multiples, une galerie de personnages suffisamment diversifiée pour présenter divers profils psychologiques et sociologiques, Philippe Pealez propose une intrigue dense, aux dialogues toniques, appropriés aux situations.
Victor L. Pinel a immédiatement été retenu par l’éditeur au vu des quelques pages d’essai réalisées à la demande du scénariste. Son dessin épuré donne une force particulière aux différentes phases de l’histoire. Il met l’accent sur les personnages, donnant à ceux-ci une gestuelle efficace et significative. Il place des attitudes réalistes et met en scène des tâches quotidiennes, des travaux de ferme, des rencontres ou des situations plus terribles. Les décors, s’ils sont bien présents, restent toutefois très symboliques.
Avec ce one-shot, Les auteurs font revivre, avec brio, une période difficile, mettant en lumière les contre-coups subis pendant un conflit et surtout durant le retour à la vie civile.
lire un extrait
serge perraud
Philippe Pelaez (scénario), Victor L. Pinel (dessins et couleurs), Puisqu’il faut des hommes – Joseph, Bamboo, coll. “Grand Angle”, janvier 2020, 64 p. – 15,90 €.