Dans les années 1970–80, le général Pinochet faisait figure de démon absolu. Le tortionnaire du Chili. Le meurtrier de Salvador Allende, l’icône de la gauche. La réincarnation de Franco, à moins que ce fût celle de Mussolini. Point de discussion possible.
Dans de telles conditions, est-il possible d’écrire une biographie honnête de ce personnage qui semble à jamais voué à la damnatio aeterna ?
C’est pourtant ce que parvient à faire de main de maître Michel Faure. Bien éloigné de toute sympathie idéologique pour le personnage, ce journaliste bon connaisseur du Chili n’en signe pas moins un travail d’une objectivité qu’il faut souligner. Rien n’est omis des faiblesses de Pinochet, de son ambition de jeune officier, de son effacement, y compris à la veille du coup d’Etat dont il devint le symbole, et auquel il se rallia qu’in extremis.
Mal marié, infidèle, quelque peu vaniteux, ayant vite pris goût au pouvoir, il rafla la mise et gouverna son pays d’une main de fer. C’est l’autre aspect bien mis en relief par son biographe : l’extrême violence des répressions, lesquelles selon l’auteur n’avaient pas lieu d’être car la menace communiste fut en fait très vite écrasée. Certains témoignages de détenus sont aussi saisissants que glaçants. Et pourtant…
Rien n’est caché de la désastreuse expérience économique et politique d’Allende qui précipitait son pays dans la ruine économique, rêvait de le conduire démocratiquement vers le communisme (un oxymore…), se rapprochait sans cesse de Cuba et de Castro. On connaît bien les liens de Pinochet avec la CIA, moins bien ceux d’Allende avec le KGB que Michel Faure analyse en détails.
Rien n’est oublié de l’apparente contradiction de la politique économique néo-libérale de Pinochet, partisan enthousiaste de l’école de Chicago et de Milton Friedman. Un tyran libéral comme le définit l’auteur, qui a assuré au Chili la prospérité économique et la liberté dans la dictature. On ne peut que se féliciter que Michel Faure ne place pas son régime dans la catégorie des totalitarismes mais le décrit comme une dictature, aussi cruelle fût-elle.
Intéressante aussi sa définition du « pinochétisme » : « une laborieuse synthèse d’une pratique dictatoriale et d’une ambition démocratique, c’est-à-dire l’horreur et les bons sentiments. Ce n’est pas une doctrine, mais une parenthèse personnaliste et brutale dans la longue histoire chilienne de la démocratie et de l’Etat de droit. »
D’ailleurs, Pinochet, aussi sinistre fût-il, alla jusqu’au bout de la logique et quitta le pouvoir en suivant une voie démocratique. On attend toujours la même chose à Cuba.
frederic le moal
Michel Faure, Augusto Pinochet, Perrin, janvier 2020, 380 p. — 24,00 €.
Je veux juste, dans ce message, remercier Félicien pour son article sur ma biographie d’Augusto Pinochet. Je viens de découvrir cet article, tardivement, donc, mais il me fait plaisir pour reconnaitre mes efforts et le souci de mon honnêteté intellectuelle.
Merci de lui transmettre ce message et avec lui mes remerciements pour cette juste lecture.
Cordialement.