Une belle édition pour un beau récit
Tif et Tondu, pour se remette de leur dernière aventure, s’offrent des vacances en Écosse. Atterrissant à Londres, ils décident d’aller saluer leur vieil ami l’inspecteur Ficshusset de Scotland Yard. Pendant qu’ils sont en route, la porte de la boutique d’un empailleur s’ouvre et se referme seule. Un policeman voit une Mini démarrer sans personne au volant… Et cette entité invisible sème le trouble dans les rues, jouant avec le ballon d’enfants, ouvrant et fermant une cabine téléphonique sous le regard ébahi d’un policier en patrouille.
Après avoir dîné, Tif, Tondu et leur ami sont agressés par une force invisible qui balance l’inspecteur contre le mur et Tif dans une armoire. Tondu sort, ne voit rien. Il utilise la voiture de l’inspecteur pour éclairer les lieux et découvre, se découpant en ombre chinoise sur un panneau publicitaire, la silhouette d’un grand singe, ombre qui monte dans la Mini et s’en va.
À l’issue d’une poursuite mouvementée mais non couronnée de succès, Tondu revient. Sur le mur du salon, tracée avec un morceau de charbon, une menace de mort signée de John Fullshoke. Or, ce criminel a été abattu il y a un mois par l’inspecteur lui-même. Il y a matière alors à animer les deux héros…
Pour cet album, Maurice Rosy, le scénariste des aventures précédentes, depuis douze albums, passe le relais à Maurice Tilleux qui va s’engager sur un autre registre. Si Rosy appréciait les aventures oniriques, surréalistes, la fantaisie pure, ce n’est pas le cas de Tilleux qui préfère explorer des thèmes centrés sur le mystère, l’enquête policière, l’aventure. Il abandonne le personnage de Mr Choc, trouvant que son utilisation systématique est préjudiciable à la série.
À cette époque, Maurice Tillieux fait partie des vedettes de Dupuis. Il a créé la série des Gil Jourdan en 1956, assure celle de Félix…
On retrouve ce qui fait tout le charme des enquêtes de Gil Jourdan, à savoir l’humour, un humour potache avec les jeux de mots, un humour décalé de situations et dans le choix des patronymes. Il donne une dynamique certaine à ses récits, sachant entretenir l’attention du lecteur. Cette aventure mêle adroitement suspense hitchcockien et atmosphère de série B anglaise.
Le jeu de mots sur le nom de l’inspecteur pouvait encore avoir une valeur en 1969. Mais on peut douter aujourd’hui que le public des moins de cinquante ans sache ce qu’était un fixe-chaussette.
Will continue à dessiner déployant tout son savoir-faire, assurant un graphisme de qualité, avec un travail sur des angles de vues toujours variés, avec un large éventail des décors. Le choix de Londres par le scénariste a obligé Will à travailler sa documentation. Mais, pour toutes les scènes dans les anciens docks, Maurice Tilleux qui s’était rendu dans la capitale du Royaume-Uni pour son histoire avait ramené des croquis, des photographies.
Bien que la censure, pour la littérature jeunesse, soit encore très active, Will s’autorise le dessin d’une jolie personne à la silhouette avenante. Elle préfigure une héroïne à venir.
La présentation de cette aventure sous le label Niffle, cette entreprise d’éditions de haute qualité dirigée par Frédéric Niffle, rachetée par Dupuis en 2011 et réactivée en 2014, est particulièrement soignée. Le noir et blanc souligne le talent de Will. Le grammage, la qualité du papier offrent un toucher fort plaisant. Chaque demi-planche fait l’objet d’un commentaire de Hugues Dayez qui, en quelques cinq ou six lignes, donne des précisions précieuses sur le contexte, sur la conception du scénario, sur la réalisation des pages, sur les inspirations des auteurs, fait le parallèle avec d’autres séries.
C’est passionnant et éclaire doublement la lecture.
Un magnifique ouvrage pour la redécouverte d’un album de transition dans la série des aventures de Tif et Tondu.
serge perraud
Maurice Tilleux (scénario) & Will (dessin), Tif et Tondu — L’ombre sans corps (1969), Dupuis/Niffle, coll. “50/60″, janvier 2020, 96 p. – 25,00 €.