Ces mémoires du grand chef opérateur ont tout pour séduire les cinéphiles, y compris grâce aux copieuses illustrations du volume.
On y apprend, entre autres, que le jeune Alekan eut du succès en tant que marionnettiste de Guignol, et qu’il dut faire de longs efforts avant d’entrer dans son futur métier, dont il rêvait déjà de très bonne heure.
Sa vocation ressort aussi par le biais des descriptions et des explications qu’il donne sur ses diverses façons d’éclairer et de filmer – les étudiants en cinéma devraient tous lire cet ouvrage. Mais la plupart des lecteurs seront sans doute captivés surtout par les anecdotes et les récits de tournage. Alekan a connu une pléiade de grands réalisateurs, dont René Clément qui fit des courts-métrages avec lui, et qu’Alekan aida à se faire confier le projet de La Bataille du rail. Ils travaillèrent ensemble aussi sur La Belle et la Bête de Cocteau, avant de faire Les Maudits.
Les histoires de tournage de ces trois films sont particulièrement savoureuses, le mémorialiste étant non seulement bon conteur, mais doté du sens de l’humour. On rit beaucoup aussi en lisant comment Gérard Philipe s’y prenait pour faire tourner en bourrique Marcel Carné, sur le plateau de Juliette ou la clef des songes (pp. 182–183).
On apprécie également la tendance d’Alekan à se moquer de lui-même, notamment à propos de telles vaines tentatives de séduire des actrices – à ce propos, on lit entre les lignes qu’il n’y en eut guère dont Alekan n’ait pas été amoureux, ne serait-ce qu’un peu, le temps d’un tournage. Mais le morceau le plus hilarant concerne Serge Reggiani en train de courtiser Anouk Aimée, d’une façon tout sauf courante (p. 177), que je n’éventerai pas.
Pour revenir aux grands cinéastes, les évocations de William Wyler (Vacances romaines) et de Losey (Deux hommes en fuite) sont particulièrement instructives, à la fois pour ce qui concerne leur façon de travailler et celle de l’auteur. Dans les deux cas, Alekan a été amené à accomplir des prouesses pour les satisfaire, en s’adaptant à des exigences très différentes.
En somme, c’est un livre recommandable à toute personne qui s’intéresse au cinéma. A lire et à offrir.
agathe de lastyns
Henri Alekan, Le Vécu et l’imaginaire, La Table ronde, octobre 2019, 384 p. – 26,80 €.