Une saga féminine et familiale
Sur le domaine de Morne Folie, en Martinique, la famille Huc gère sa plantation de cannes à sucre de façon traditionnelle, utilisant beaucoup d’esclaves et les traitant comme tels. Eliza, la fille cadette, rêve de moderniser l’exploitation pour lutter contre la concurrence des betteraviers de la métropole. Elle s’oppose à l’inertie de son père et de son grand-père.
Le second tome débute alors qu’un puissant cyclone déferle sur le domaine, détruisant la maison d’habitation, tuant la grand-mère et blessant si gravement le grand-père qu’il faut l’amputer d’une jambe… avec les moyens du bord. Eliza est très proche de Julius, un esclave noir. La main de celui-ci a été coupée par le grand-père quand il les a surpris tous les deux.
Celui-ci, alors qu’il pense mourir, donne à Eliza le pouvoir sur le domaine. Elle n’a de cesse de chercher à moderniser. Il faut des moyens financiers conséquents. Elle va tenter de mobiliser, de nouer les alliances jusqu’au moment où elle rencontre Paul D’Assier de Montferrier, l’héritier de l’une des plus puissantes et riches familles de commissionnaires de l’île. Il est amoureux d’elle. Elle lui fait une promesse tout en sachant qu’elle ne l’aimera jamais ! Une situation aussi ambiguë, difficile, a tout pour dégénérer…
Avec Eliza comme pilier de son histoire, une héroïne libre d’idées de d’esprit, le scénariste brosse un récit d’aventures dans les Antilles et raconte la fin de ces exploitations esclavagistes. Le joug avait été aboli par un décret pris en août 1793, puis abrogé par Napoléon en mai 1802. Il faut attendre le gouvernement provisoire de la Seconde République en avril 1848 pour que cette forme de servitude disparaisse… dans les textes !
Avec ce récit le scénariste aborde nombre de sujets tels que le statut de la femme dans les îles françaises au milieu du XIXe siècle, l’évolution des plantations, la prise de conscience de certains esclaves qui rêvent de liberté. Avec Eliza, devenue femme dans les bras d’un métis, il dresse le portrait d’une jeune femme qui transgresse les tabous d’une société blanche patriarcale. C’est également l’évolution des pratiques professionnelles, la nécessité de se moderniser pour continuer à exister, pour pouvoir rester compétitif face à l’arrivée de nouveaux produits.
L’ auteur aborde aussi l’opiniâtreté dont il faut faire preuve pour faire bouger les mentalités, les positions, les situations quand trop de gens campent sur des habitudes rassurantes, sur des dispositions bien établies, sur des privilèges. Le simple fait d’être blanc assurait une supériorité.
Il montre également les difficultés à faire cohabiter des opinions différentes comme si seuls ceux qui sont du même avis peuvent partager le même espace.
Le graphisme se partage entre Gilles Mezzomo pour le dessin et Céline Labriet pour la mise en couleurs. Une belle place est faite aux personnages, ceux-ci étant traités au plus près des actions menées, des sentiments ressentis, exprimés. De magnifiques décors de forêts, de plantations ponctuent les pages dont les couleurs, particulièrement bien choisies, rehaussent la qualité.
Un second tome attrayant, riche en rebondissements, en actions autour d’une héroïne qui ne s’en laisse pas conter.
serge perraud
Stéphane Piatzszek (scénario), Gilles Mezzomo (dessin) & Céline Labriet (couleurs), Les Maîtres des îles – t.02 : Martinique 1847, Glénat, coll. “24x36”, janvier 2020, 64 p. – 14,95 €.