Stéphane Piatzszek & Gilles Mezzomo, Les Maîtres des îles – t.02 : “Martinique 1847″

Une saga fémi­nine et familiale

Sur le domaine de Morne Folie, en Mar­ti­nique, la famille Huc gère sa plan­ta­tion de cannes à sucre de façon tra­di­tion­nelle, uti­li­sant beau­coup d’esclaves et les trai­tant comme tels. Eliza, la fille cadette, rêve de moder­ni­ser l’exploitation pour lut­ter contre la concur­rence des bet­te­ra­viers de la métro­pole. Elle s’oppose à l’inertie de son père et de son grand-père.

Le second tome débute alors qu’un puis­sant cyclone déferle sur le domaine, détrui­sant la mai­son d’habitation, tuant la grand-mère et bles­sant si gra­ve­ment le grand-père qu’il faut l’amputer d’une jambe… avec les moyens du bord. Eliza est très proche de Julius, un esclave noir. La main de celui-ci a été cou­pée par le grand-père quand il les a sur­pris tous les deux.
Celui-ci, alors qu’il pense mou­rir, donne à Eliza le pou­voir sur le domaine. Elle n’a de cesse de cher­cher à moder­ni­ser. Il faut des moyens finan­ciers consé­quents. Elle va ten­ter de mobi­li­ser, de nouer les alliances jusqu’au moment où elle ren­contre Paul D’Assier de Mont­fer­rier, l’héritier de l’une des plus puis­santes et riches familles de com­mis­sion­naires de l’île. Il est amou­reux d’elle. Elle lui fait une pro­messe tout en sachant qu’elle ne l’aimera jamais ! Une situa­tion aussi ambi­guë, dif­fi­cile, a tout pour dégénérer…

Avec Eliza comme pilier de son his­toire, une héroïne libre d’idées de d’esprit, le scé­na­riste brosse un récit d’aventures dans les Antilles et raconte la fin de ces exploi­ta­tions escla­va­gistes. Le joug avait été aboli par un décret pris en août 1793, puis abrogé par Napo­léon en mai 1802. Il faut attendre le gou­ver­ne­ment pro­vi­soire de la Seconde Répu­blique en avril 1848 pour que cette forme de ser­vi­tude dis­pa­raisse… dans les textes !
Avec ce récit le scé­na­riste aborde nombre de sujets tels que le sta­tut de la femme dans les îles fran­çaises au milieu du XIXe siècle, l’évolution des plan­ta­tions, la prise de conscience de cer­tains esclaves qui rêvent de liberté. Avec Eliza, deve­nue femme dans les bras d’un métis, il dresse le por­trait d’une jeune femme qui trans­gresse les tabous d’une société blanche patriar­cale. C’est éga­le­ment l’évolution des pra­tiques pro­fes­sion­nelles, la néces­sité de se moder­ni­ser pour conti­nuer à exis­ter, pour pou­voir res­ter com­pé­ti­tif face à l’arrivée de nou­veaux produits.

L’ auteur aborde aussi l’opiniâtreté dont il faut faire preuve pour faire bou­ger les men­ta­li­tés, les posi­tions, les situa­tions quand trop de gens campent sur des habi­tudes ras­su­rantes, sur des dis­po­si­tions bien éta­blies, sur des pri­vi­lèges. Le simple fait d’être blanc assu­rait une supé­rio­rité.
Il montre éga­le­ment les dif­fi­cul­tés à faire coha­bi­ter des opi­nions dif­fé­rentes comme si seuls ceux qui sont du même avis peuvent par­ta­ger le même espace.
Le gra­phisme se par­tage entre Gilles Mez­zomo pour le des­sin et Céline Labriet pour la mise en cou­leurs. Une belle place est faite aux per­son­nages, ceux-ci étant trai­tés au plus près des actions menées, des sen­ti­ments res­sen­tis, expri­més. De magni­fiques décors de forêts, de plan­ta­tions ponc­tuent les pages dont les cou­leurs, par­ti­cu­liè­re­ment bien choi­sies, rehaussent la qualité.

Un second tome attrayant, riche en rebon­dis­se­ments, en actions autour d’une héroïne qui ne s’en laisse pas conter.

serge per­raud

Sté­phane Piatzs­zek (scé­na­rio), Gilles Mez­zomo (des­sin) & Céline Labriet (cou­leurs), Les Maîtres des îles – t.02 : Mar­ti­nique 1847, Glé­nat, coll. “24x36”, jan­vier 2020, 64 p. – 14,95 €.

 

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