Sous couvert de fiction, sous le masque de contes, il est permis, il est possible de distiller des idées rebelles, de blâmer des agissements de sociétés, de dénoncer des injustices plus ou moins criantes. Et Hubert apprécie ces contes qui lui offrent l’occasion d’égratigner nos attitudes moutonnières, de moquer les travers de nos communautés. Il aime ces exercices d’écriture qui lui permettent, à partir d’une idée bizarre, décalée, d’en tirer toutes les possibilités, aussi saugrenues soient-elles.
La ville de Solidor est isolée du reste du continent par des montagnes pratiquement infranchissables. Si cet isolement a permis le développement de variétés florales peu communes, les seuls oiseaux ont un plumage terne et sont pratiquement aphones. C’est pourquoi s’est développée une passion pour les oiseaux exotiques. Chaque maison comporte au moins une cage contenant un volatile au plumage éclatant et aux trilles mélodieux.
Illian est apprenti chez maître Koppel. Celui-ci ayant remarqué son habileté de sculpteur a abandonné le travail manuel pour se consacrer à la vente des cages que réalise son apprenti. Elles sont très belles et se vendent un bon prix. Mais Kappel, malgré des ressources qui augmentent singulièrement, n’assure à Illian, que le couvert et le gîte dans une soupente. Celui-ci, passionné par les oiseaux, voudrait bien en posséder un, mais sans argent…
C’est avec un morceau de bois récupéré dans les rebuts qu’il sculpte un rossignol, un si bel oiseau que Flora, la fille de Koppel, découvre avec ravissement pendant que le maître accuse l’apprenti de le mener à la ruine en détournant du bois et de la peinture. Surpris, son père lui déclare que c’est pour son anniversaire qu’il a demandé cette sculpture.
Lorsqu’elle la montre à ses amies, toutes en veulent et Illian devient sculpteur d’oiseaux. Mais il ne sait pas que cela va déclencher une succession d’événements qui vont changer la ville, qui vont changer sa vie…
L’apprenti, dûment muni d’un contrat, mais exploité par un patron tyrannique n’est pas que l’apanage des héros de contes. Cependant, celui-ci possède un don, une capacité peu ordinaire. Sous la contrainte, on va exploiter son savoir-faire, ce qui va le mettre en difficulté. Hubert fait la part belle aux oiseaux, à l’art sculptural et s’amuse des défauts de notre civilisation de consommation, nos attitudes de consommateurs s’appliquant à avoir tous la même chose et à faire évoluer celle-ci en suivant des modes, des influenceuses et influenceurs.
Cependant, dans ce climat social, il intègre une large part de poésie avec les chants qui résonnent à travers la cité, avec les couleurs éclatantes des plumages qui ornent les fenêtres avec ces cages et ces oiseaux. Pour évoquer une des mutations de la ville, le scénariste regarde les faits divers et la multiplication des trouvailles peu plaisantes pour constater que les oiseaux disparaissent au profit d’autres espèces dont les parures sont moins attrayantes et les chants sont bien moins mélodieux.
Le travail graphique de Gaëlle Hersent est remarquable. Son sens aigu de la mise en page offre une belle facilité de lecture, plaçant les cartouches explicatifs en bonne place. Des pleines pages plantent le cadre de l’histoire avec brio. Les décors, dans leur simplicité, voire leur dépouillement, laissent la place aux personnages, à leur expressivité. Elle compose une formidable galerie d’oiseaux tous plus exotiques les uns que les autres.
Un bien bel album qui annonce une suite qu’on souhaite aussi attrayante que le récit de ce premier tome.
serge perraud
Hubert (scénario) & Gaëlle Hersent (dessin et couleurs), Le Boiseleur - t.01 : Les mains d’Illian, Soleil, coll. “Métamorphose”, octobre 2019, 96 p. – 17,95 €.