Hélène Carrère d’Encausse, La Russie et la France. De Pierre le Grand à Lénine

De la per­ma­nence de l’histoire

Alors que, depuis 2013, à la suite de l’annexion de la Cri­mée par la Rus­sie de Pou­tine, la diplo­ma­tie fran­çaise opte pour la ligne puni­tive sui­vie par Washing­ton et Ber­lin, le pré­sident Macron semble réorien­ter sa poli­tique vers un rap­pro­che­ment avec Mos­cou. On ne peut s’empêcher de remar­quer que ce reca­li­brage s’effectue au moment où le couple franco-allemand tra­verse une zone de tur­bu­lences.
Rai­son de plus pour se plon­ger dans l’ouvrage qu’Hélène Car­rère d’Encausse, qu’on ne pré­sente plus, consacre à trois siècles de rela­tions entre la France et la Rus­sie, de Pierre le Grand à Lénine.

Le prin­ci­pal mérite de cette étude est de mon­trer que l’alliance franco-russe de 1892 à 1917 est en réa­lité l’arbre qui cache la forêt, l’époque de l’entente der­rière laquelle existent des siècles de ten­sions et de mal­en­ten­dus. Bien rares en effet ont été les périodes de proxi­mité entre Paris et Saint-Pétersbourg, et tou­jours de courte durée : La Régence, les règnes de Louis XVI et de Charles X, et ceux bien com­pli­qués à cet égard des deux Napo­léon.
Mais l’apport du livre est autre : il consti­tue un outil très utile de com­pré­hen­sion des rela­tions inter­na­tio­nales d’une part, et des per­ma­nences de l’histoire d’autre part.

Primo, Hélène Car­rère d’Encausse montre le poids que repré­sen­ta­tions, pré­ju­gés et sté­réo­types peuvent exer­cer dans la prise de déci­sion. Pen­dant des décen­nies, les diri­geants fran­çais eurent bien du mal à se défaire de l’image d’une Rus­sie bar­bare, sau­vage, en marge de d’une Europe à laquelle elle n’appartenait pas et dont elle devait res­ter exclue. D’où leur pré­ven­tion pour toute alliance, fût-elle matrimoniale.

Secundo, elle met très bien en valeur l’existence dès l’époque moderne d’une bar­rière de l’Est dans la poli­tique étran­gère fran­çaise, éla­bo­rée contre l’Empire des Habs­bourg et construite sur la Suède, la Pologne et l’Empire otto­man. Or, c’était jus­te­ment ces trois pays que la Rus­sie vou­lait affai­blir et/ou détruire. Et ils se dres­sèrent comme des obs­tacles très sou­vent incon­tour­nables sur la route entre Paris et Saint-Pétersbourg.
La Pologne ou la Rus­sie ? Il fal­lait choi­sir. La pro­blé­ma­tique des années 1930 et celle d’aujourd’hui, on le com­prend, n’est guère nou­velle…

Tertio
, l’auteure décrit très bien une autre per­ma­nence : la volonté de conte­nir la Rus­sie, de l’empêcher d’avancer en Europe cen­trale, dans les Bal­kans ou en mer Noire. Il ne peut y avoir de place sur le Vieux conti­nent pour deux empires, qu’ils fussent napo­léo­nien, amé­ri­cain ou russe. A cet égard, le monde ger­ma­nique vite dominé par la Prusse puis uni­fié par elle, a constam­ment entre­tenu des rela­tions com­plexes avec la Rus­sie, elle-même balan­çant entre prus­so­phi­lie et haine de Berlin.

Bref, l’histoire ne se répète pas, comme cha­cun sait. Mais elle ne change guère. Aussi parce que la géo­gra­phie ne le fait pas.

lire les 1ères pages

fre­de­ric le moal 

Hélène Car­rère d’Encausse, La Rus­sie et la France. De Pierre le Grand à Lénine, Fayard, 2020, 444 p. — 23,00  €.

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