Matt Ruff, Lovecraft country

La plus grande démo­cra­tie du monde ?

Si le titre du roman évoque Love­craft, ce n’est pas vrai­ment pour un hom­mage à cet auteur, ni un culte pour son œuvre. Il s’agit du Pays de Love­cratf, un raciste notoire, par exten­sion les habi­tants des États-Unis. L’œuvre est évo­quée et le rap­port que l’on peut repé­rer se trouve dans l’intérêt des per­son­nages pour la lit­té­ra­ture de science-fiction, de fan­tas­tique, d’horreur et d’épouvante, pour l’intrigue qui les mêle à une secte hor­ri­fique.
Cepen­dant, ce qui fait trem­bler les Noirs dans les années cin­quante, ce ne sont pas les créa­tures hor­ribles sor­ties de l’imagination d’un Love­craft, mais le Blanc moyen qui peuple le pays. Et là, il y a matière à peur. L’enfer a trouvé sa cou­leur, elle est blanche.

Atti­cus Tur­ner a fait la guerre de Corée. Démo­bi­lisé, il s’installe en Flo­ride. Son père, par une lettre com­mi­na­toire, l’enjoint à le retrou­ver à Chi­cago. Pour son voyage, il uti­lise le Guide du voyage serein à l’usage des Noirs, édité par George Berry, son oncle. C’est d’abord ce der­nier qu’il rejoint. Ils par­tagent la même pas­sion pour la lit­té­ra­ture de Science-fiction, d’épouvante.
Dans la lettre qu’il fait lire à George, son père revient sur son obses­sion, cette volonté de connaître les racines de son épouse, la mère d’Atticus décé­dée quand il avait dix-sept ans. Il a décou­vert quelque chose et veut emme­ner son fils pour qu’il recouvre son héri­tage, un legs secret et sacré. Il indique une ville à l’orthographe proche de celle d’Arkham une cité légen­daire de Love­craft dans le Mas­sa­chu­setts.
Lorsqu’il va retrou­ver son père, chez lui, celui-ci est parti depuis une semaine. Il était accom­pa­gné d’un Blanc. Or, son père est raciste et déteste tout ce qui est, ce qui vient des Blancs.
Atti­cus et George partent sur les traces de Mon­trose Tur­ner, res­pec­ti­ve­ment père et frère, pour un périple désa­gréa­ble­ment mou­ve­menté. Ils sont accom­pa­gnés par Leti­tia, une amie d’enfance qui, dans un pre­mier temps voyage avec eux pour rejoindre son frère, mais qui se révèle très pré­cieuse pour se sor­tir des mau­vais pas. Et ce n’est pas ce qui manque…

Matt Ruff décrit les pro­blèmes ren­con­trés par les Noirs dans les années 1950, les limites innom­brables aux­quelles ils sont sou­mis, les inter­dic­tions, les contrôles poli­ciers, le har­cè­le­ment, l’insécurité per­ma­nente.… Le Guide édité par George recense les lieux, les éta­blis­se­ments où les Noirs ne sont pas refou­lés. L’usage des toi­lettes dans les stations-service est qua­si­ment inter­dit. Trou­ver un loge­ment, faire répa­rer sa voi­ture relèvent du casse-tête !
Mais cette des­crip­tion de l’Amérique de Jim Crow s’intègre dans une intrigue nour­rie d’une large part de fan­tas­tique et de SF. Les héros sont confron­tés à de nom­breux élé­ments d’épouvante tels que sor­ciers, fan­tômes, esprits frap­peurs, livres ensor­ce­lés, créa­tures impro­bables de l’au-delà, indi­ca­tions rela­tives aux œuvres de Love­craft, de Ste­ven­son, aux maîtres des Pulps…

De nom­breux per­son­nages peuplent ce récit, cha­cun ayant sa propre approche du ségré­ga­tion­nisme, jouant de la diplo­ma­tie, se fon­dant dans l’anonymat, ou ayant beau­coup de mal à ne pas en découdre… Cha­cun raconte son his­toire for­mant ainsi une chaîne jusqu’à une chute bien orches­trée. Le roman­cier fait réfé­rence à Jim Crow, un per­son­nage de fic­tion, un ménes­trel joué par un homme blanc grimé en noir. Ce nom désigne aussi une série d’arrêtés et de règle­ments ségré­ga­tion­nistes pro­mul­gués, sur­tout dans les États du Sud, de 1876 à 1964.
La plus grande démo­cra­tie du monde comme le beugle sans cesse un Trump (qui n’aurait pas déna­turé le roman) est sur­tout le plus gros men­songe du monde.

L’auteur ne se dépar­tit pas, mal­gré les hor­reurs qu’il décrit, d’une bonne dose d’humour et conçoit une gale­rie de per­son­nages sin­gu­liers, attrac­tifs en diable. Il fait sou­vent un paral­lèle entre le sta­tut des femmes et celui des Noirs, celles-ci n’ayant, dans cette Amé­rique puri­taine, guère plus de droits, de liber­tés que les Noirs.
Avec Love­craft Coun­try, Matt Ruff place son lec­teur face au racisme et signe un roman d’un réa­lisme sai­sis­sant servi par une intrigue remar­qua­ble­ment menée.

serge per­raud

Matt Ruff, Love­craft coun­try (Love­craft Coun­try) tra­duit de l’anglais (États-Unis) par Laurent Philibert-Caillat, Presses de la Cité, coll. “Roman étran­ger”, mars 2019, 496 p. – 22,00 €.

Leave a Comment

Filed under Pôle noir / Thriller

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

*

Vous pouvez utiliser ces balises et attributs HTML : <a href="" title=""> <abbr title=""> <acronym title=""> <b> <blockquote cite=""> <cite> <code> <del datetime=""> <em> <i> <q cite=""> <strike> <strong>