La vie de Gueorgui Konstantinovitch Joukov (1er décembre 1896 – 18 juin 1974) se confond avec celle de l’Armée rouge. Créée en 1918, elle est l’armée du Parti et le restera jusqu’à la disparition de l’URSS en 1991. Joukov adhère au Parti en 1919. Il a fait la Grande Guerre qu’il termine comme sergent-chef. Il est malade quand se dessine le grand choix, rester dans l’armée tsarine ou rejoindre celle de Lénine. Parce qu’elle semble en état de gagner, quand il recouvre la santé, il intégrera naturellement cette dernière dont il gravit les échelons.
Il survit à la Grande Terreur d’août 1937 à novembre 1938, où, en un peu plus d’un an, un million et demi de personnes sont arrêtées, 750 000 d’entre elles sont exécutées. Il fait partie des 32 % des commandants de division qui échappent à la purge. Il profitera de ces vides laissés par les exterminations, celles-ci devenant des ascenseurs professionnels à grande vitesse.
S’il reste dans la moyenne des officiers, c’est la bataille de Khalkhin-Gol, dans la steppe mongole, contre les forces japonaises du 20 au 31 août 1939, qui va le propulser. Il reçoit le titre de héros de l’Union soviétique et le commandement de la place de Kiev.
La Seconde Guerre mondiale et le front germano-soviétique lui offrent l’occasion de faire état de son talent de stratège. . Il sera l’acteur de victoires décisives pour la suite du conflit à trois reprises. D’abord après la mi-octobre quand Staline a vu détruire pour la troisième fois le gros de l’armée, quand il résiste et remporte la bataille de Moscou en décembre 1941. Puis, quand il empêche la Wehrmacht de s’emparer des puits de pétrole de Bakou. Enfin, quand il mène la contre-offensive réussie autour de Stalingrad.
Il garde un rôle majeur dans la monstrueuse bataille de Koursk à l’été 1943 et c’est lui qui reçoit, du Feld-maréchal Keitel, la capitulation des forces armées allemandes à Berlin. Mais les biographes relèvent, sur les 200 actions importantes du conflit, une soixantaine due au seul sens tactique de Joukov.
L’armée est celle du Parti et, à ce titre, elle doit lui obéir en tout, accepter des missions policières, sociales, économiques. Elle est surveillée sans cesse par une nuée d’espions, par des commissaires délégués par le Parti et par des cellules communistes. Le commandement est partagé avec des administratifs politiques qui n’en réfèrent qu’au seul Comité central. Joukov vit mal cette situation qui bloque une professionnalisation militaire. Il doit composer avec ces contradictions sans toujours les accepter.
Par deux fois, il paie ses prises de position et également sa notoriété, d’une disgrâce, d’humiliations et de la négation de son rôle. En 1946, parce que Staline a peur que sa célébrité lui fasse de l’ombre… ou pire, et sous Khrouchtchev, qui a la même peur. Son nom est rayé des manuels d’histoire, traîné dans la boue, ses victoires attribuées à d’autres. (C’est beau l’amitié entre Camarades !!!)
Cependant, Joukov n’est pas un angelot pour autant. Il est brutal, autoritaire et aime se mettre en avant. Jean Lopez, avec son souci d’approcher la vérité au plus près, avec sa préoccupation du détail pertinent, sa volonté de montrer la réalité des faits, des combats, des situations dresse un portrait exhaustif de ce guerrier. Il cite des chiffres hallucinants. Ainsi, à Stalingrad, en cinq mois, il est mort plus d’hommes que de soldats américains depuis la naissance des États-Unis. L’Armée rouge, sur le front germano-soviétique, a perdu entre 25 et 27 millions de tués !
L’armée allemande s’est comportée de façon abjecte en URSS, tuant, déportant, saccageant des territoires entiers. En réponse, l’Union soviétique mène, dès l’été 1942, une propagande anti-allemande avec des propos très violents. Aussi quand les troupes de Joukov arrivent sur l’Oder, ce n’est que pillages, viols, absorption inconsidérée d’alcools.
Ces faits entraînent le relâchement de la discipline. Barbara Johr estime que deux millions de femmes auront été violées par les armées de Joukov. Certaines se suicident, sautent par les fenêtres des immeubles encore debout. Ces crimes de guerre seront vus, pendant longtemps, comme des inventions de Goebbels, l’opinion mondiale étant trop traumatisée par les images des camps de la mort pour reconnaître que les Allemandes ont pu être des victimes.
Sur ce sujet, Joukov reste discret, l’évacuant rapidement dans ses Mémoires.
Un livre référence car peu de biographies ont été aussi complètes sur ce personnage qui façonna de façon significative l’histoire récente.
serge perraud
Jean Lopez & Lasha Otkmezuri, Joukov – L’homme qui a vaincu Hitler, Tempus, novembre 2019, 928 p. – 19,00 €.