Le nouveau volet d’une fresque bretonne
Hervé Jaouen n’a pas son pareil pour décrire sa Bretagne et faire vivre ses habitants. Il ambitionne d’écrire l’histoire d’une vaste famille au XXe siècle, un pendant local des Rougon-Macquart. Il compose cette fresque sans souci d’une quelconque chronologie s’attachant plus à des événements, dépeignant les acteurs qui y ont participé, focalisant son attention sur des destins singuliers. Ainsi, il rattache, par un lointain cousinage, Yvonne à Gwaz-Ru, un homme rebelle et libertaire qui va plonger dans le prolétariat urbain (Gwaz-Ru - Presses de la Cité, 2013).
Avec elle, le romancier revisite la Bretagne rurale, profonde et cette période terrible de l’occupation, les ravages opérés, au nom d’une idéologie stupide, dans des zones qu’ont pourraient penser à l’abri des grands courants qui secouent le monde.
Marie-Françoise est née à Huelgoat, pendant la guerre, dans la maison de sa grand-mère. Mariée avec Jean, elle passe sa vie à Quimper. Veuve, elle revient dans son village natal, dans la maison qu’elle avait voulu garder. Elle se mêle aux activités locales. C’est la rencontre avec Linda, une Canadienne venue se retirer dans le centre de la Bretagne, qui va changer le cours de son existence. Celle-ci lui propose de venir faire la lecture aux pensionnaires de l’EHPAD voisin. D’abord bien réticente, elle accepte. Là, elle est orientée vers Yvonne Trédudon, 96 ans, une auditrice boulimique qui épuise toutes les lectrices. Des relations se nouent, qui deviennent indispensables à l’une comme à l’autre.
Lors des pauses, entre la lecture, Yvonne raconte sa vie. Et Marie-Françoise entreprend de prendre des notes, de consigner, d’enregistrer ces récits et de retranscrire sur son ordinateur cette existence féconde.
À treize ans, Yvonne, alors jeune paysanne, va travailler pour la famille du Docteur Cogan, des Parisiens venus s’établir à Plouvern. Marie-Françoise va découvrir le drame qui les a frappés…
Le romancier maîtrise l’art de dresser des portraits authentiques, de mettre en valeur les gestes quotidiens, de donner vie et intérêt à des situations somme toute banales tout en construisant une histoire qui maintient une tension jusqu’à une conclusion inattendue. Dans ce texte, il décrit l’évolution d’une petite paysanne qui découvre l’ordinaire d’une famille bourgeoise, d’une famille attentive aux autres.
Avec un style alerte, vif, usant d’un vocabulaire simple et juste, Hervé Jaouen donne un ton familier à son récit, recréée une ambiance de quiétude jusqu’au moment où tout bascule. Il évoque alors la période de l’occupation, la vie sous l’administration allemande mais surtout sous le joug de leurs valets, ces miliciens qui voulaient faire du zèle. Il stigmatise aussi ces individus qui ont su se « blanchir », se faire une réputation usurpée de résistants. Car, comme l’écrivait si bien le regretté Pierre Dac : “Les résistants de 1945 sont parmi les plus glorieux et les plus valeureux… parce que, pendant plus de quatre ans, ils ont courageusement et héroïquement résisté à leur ardent désir de faire de la résistance.”
Jaouen intègre dans son récit nombre de mots, de noms, d’expressions en breton qui agrémentent le récit et ne gênent en rien la lecture. Il offre même un attrait supplémentaire en essayant de retrouver une racine saxonne ou latine. S’il décrit l’importance des liens sociaux, il truffe son récit d’annotations, de détails, de remarques sur la vie quotidienne, sur la Bretagne, sur les gens, sur les Anglaises qui boivent trop de vin blanc.
Une réputation que nombre d’entre elles s’attachent à préserver.
Avec Le Bon Docteur Cogan, Hervé Jaouen propose un roman qui se découvre avec plaisir, offre un bon moment de lecture tant le fond et la forme sont agréables.
serge perraud
Hervé Jaouen, Le Bon Docteur Cogan, Presses de la Cité, Coll. “Terres de France”, octobre 2019, 272 p. – 20,00 €.