Une fresque de Science-fiction
Dans un lointain futur, les réincarnations sont possibles. Si les plus riches peuvent intégrer des corps humains, les moins fortunés se contentent de machines. De plus, cette société est basée sur un mensonge monstrueux, à savoir l’invention d’une catastrophe qui amène une partie de l’humanité à se confiner sous terre, dans des caissons de survie.
Un robot, façon années 1950, tient dans ses bras une femme agonisante, son épouse. Une jeune femme noire tire, au fusil mitrailleur, sur des forces de l’ordre robotisées, regrettant sa situation d’avant : “Putain ! J’étais bien tranquille dans mon trou !“
Une semaine plus tôt, Vivier, un jeune homme, aborde un robot distributeur de café en l’appelant Papa. C’est Melville. Il a bénéficié, à son décès, d’une réincarnation. Mais son épouse n’en peut plus de vivre ainsi. Elle demande à son fils de convaincre son père d’arrêter les réinitialisations.
Dans un caisson Nathanaëlle partage son espace avec Jiro, un colocataire, qui voudrait bien baiser avec elle, ce qu’elle refuse parce qu’il ne lui fait pas envie. C’est après avoir fait une réclamation contre la qualité du repas qu’ils prennent connaissance de l’information qui circule sur les réseaux. L’apocalypse, qui a fait des milliards de morts, n’a jamais eu lieu. Ils peuvent sortir au grand jour.
Ce que Nathanaëlle s’empresse de faire. Lorsqu’elle est prise d’un malaise dans la gare centrale, c’est Melville qui la secoure et qui l’emmène chez lui, provoquant la colère de son épouse.
Tabor se présente devant le conseil de surveillance car il sollicite un septième mandat. Il a une fille… Nathanaëlle !
Une société à deux vitesses, avec un peuple enfermé dans des caissons sous terre et une certaine catégorie de nantis qui vit à l’air libre sert de point de départ à l’intrigue. Ce dernier offre aux auteurs des ressources scénaristiques et événementielles conséquentes. Et ils ne s’en privent pas, multipliant les rebondissements dans un futur aux allures de steampunk, avec des rappels du XIXe siècle. Une jeune femme va bousculer cet ordre établi et provoquer des désorganisations en chaîne jusqu’à…
Mais, est-elle aussi libre qu’elle en a l’air ?
Avec une succession de retours en arrière, sur une courte période, Charles Berberian ne va pas chercher les racines de son récit dans un passé lointain, il donne une intrigue sophistiquée, futée et d’une belle puissance. Il insère dans son histoire nombre de remarques en lien avec notre civilisation, avec les préoccupations de notre époque et offre ainsi plusieurs niveaux de lecture. Il en est ainsi, par exemple, avec les différentes réactions face à la révélation de la tromperie. Il y a ceux qui ne veulent rien changer, ceux qui craignent un complot pour les éliminer et ceux qui ne voient rien, murés dans leur univers. C’est l’image face aux mutations qu’il faut accepter pour aller vers un futur moins sombre, plus égalitaire, avec moins de privilèges.
L’institution d’une commission, pour valider l’intérêt d’un nouveau mandat d’un dirigeant, est une belle trouvaille. Il faut pour qu’il soit reconduit prouver sa productivité et éviter, ainsi, la répétition de mandats stériles. Quelle belle initiative à appliquer aux Politiques de tous poils ! Par contre, l’image de la police en prend un coup avec ces couples d’agents qui exercent un racket de bas niveau.
Le graphisme est l’œuvre de Fred Beltran qui revient à des techniques d’illustration plus classiques, n’utilisant les moyens informatiques qu’à la marge. Et c’est payant car il réalise des planches d’une beauté saisissante tant pour la représentation des protagonistes que pour la production des décors. Il ne bride pas son imagination pour extrapoler un futur difficile à percevoir de toute manière. Le travail sur la mise en pages, sur la mise en scène est remarquable. Il soigne les détails et, lorsqu’il place son point de vue dans les endroits les plus restreints des décors, il restitue, sans la transformer, la place de chaque élément.
Un cahier graphique de 24 pages donne une vue passionnante sur les travaux préparatoires. Un bel album d’une force narrative saisissante et d’un graphisme brillant.
découvrir un extrait
serge perraud
Charles Berberian (scénario) & Fred Beltran (dessin et couleurs), Nathanaëlle, Glénat, coll. “24x32”, septembre 2019, 110 p. – 18, 00 €.