Elena Piacentini, Vaste comme la nuit

Quand le passé se dérobe…

Après Comme de longs échos (fleuve noir – 2017), le per­son­nage de Mathilde Séné­chal, capi­taine de police en poste à Lille, reprend du ser­vice pour une enquête qui va la mener au plus pro­fond d’elle-même.
Mathilde, pen­dant l’été de ses neuf ans a fait une chute de vélo. Depuis, elle n’a plus de sou­ve­nirs anté­rieurs, garde une cica­trice sur le crâne et réagit de façon par­fois vio­lente à des odeurs, des par­fums. Elle par­tage sa vie entre Albert, son chef de groupe, proche de la retraite mais atteint d’un can­cer et Pierre, un qua­dra­gé­naire sau­vage, pho­to­graphe, guide de haute mon­tagne. Elle joue les mères de sub­sti­tu­tion auprès d’Adèle, une gamine de treize ans, qui habite une mai­son voi­sine de celle de Pierre.
L’avant-veille, elle a passé la nuit avec Albert pour fêter sa der­nière séance de radio­thé­ra­pie avant de rejoindre Pierre. C’est de lui qu’elle apprend la dis­pa­ri­tion en mer de l’amant qu’elle vient de quit­ter. Reve­nue sur place, un marin lui remet un paquet et une lettre de la part d’Albert. Ce der­nier l’enjoint à enquê­ter sur son passé, lui don­nant quelques maigres pistes. Paral­lè­le­ment, Pierre reçoit la visite d’un poli­cier qui vient de la part d’Albert, lui remettre un dos­sier et réaf­fir­mer qu’il faut por­ter assis­tance à Mathilde, même si elle refuse et… sur­tout si elle refuse ! Et celle-ci n’a pas d’autres échap­pa­toires. Elle doit retour­ner sur les lieux de son enfance, fouiller dans ce passé qui lui échappe, qui la ter­ro­rise et résoudre enfin l’énigme de la dis­pa­ri­tion de Jeanne Biho­rel, le même jour que l’accident de vélo, il y a trente ans…

Mathilde vit mal, très mal depuis trois décen­nies. Elle cache cette dou­leur sous une cara­pace de froi­deur. Pour elle, la roman­cière bous­cule le tri­angle amou­reux tra­di­tion­nel qui met en scène un homme et deux femmes, en géné­ral épouse et maî­tresse, en arti­cu­lant autour de son héroïne les amours de deux hommes qui, de plus, sont au cou­rant de la rela­tion avec l’autre.
Détaillant avec minu­tie les affres qui rongent Mathilde, elle lui fait vivre une quête dou­lou­reuse pour… revivre. Elle l’entoure d’une gale­rie de per­son­nages hauts en cou­leur, cam­pés avec rigueur et pare cha­cun d’un pro­fil psy­cho­lo­gique conçu avec soin. La roman­cière retient, comme cadre de son intrigue, un vil­lage comme il en existe beau­coup, où règne une atmo­sphère lourde, nour­rie de haines recuites par les années, de que­relles de famille, de jalou­sies exa­cer­bées par des men­songes, rumeurs, ragots, voire calomnies.

C’est ainsi que le lec­teur peut voir évo­luer sa grand-mère, une maî­tresse femme, sa mère réfu­giée dans un éta­blis­se­ment psy­chia­trique, son père archi­tecte, Pierre son amant qui pour­suit le rêve de pho­to­gra­phier un ours qui hante la région où il vit et qu’il a sur­nommé Titan. Mais elle trouve des moments de grâce avec Adèle, la petite voi­sine de Pierre.
C’est le par­cours de Mathilde qui part à la recon­quête de ses sou­ve­nirs et qui va devoir lever le voile sur des évé­ne­ments qu’elle a voulu oublier.

Avec une écri­ture fluide, un style puis­sant, des dia­logues per­cu­tants, un voca­bu­laire riche, un choix d’images frap­pantes, Elena Pia­cen­tini offre un récit inha­bi­tuel, un très bon polar servi par une intrigue labyrinthique.

serge per­raud

Elena Pia­cen­tini, Vaste comme la nuit, Fleuve noir, coll. “Romans poli­ciers & thril­lers”, août 2019, 312 p. – 19,90 €.

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Filed under Pôle noir / Thriller

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