Esther Gil & Laurent Paturaud, Mata Hari

L’énigme sub­siste ?

Le 15 octobre 1917, à la for­te­resse de Vin­cennes, Mar­ga­reth Zelle Macleod, dite Mata Hari, est fusillée. Elle est accu­sée d’espionnage au pro­fit de l’Allemagne. Elle refuse qu’on lui bande les yeux et s’interroge sur le fait que les exé­cu­tions se fassent à l’aube : “Au moment où l’espoir res­sur­git à l’horizon avec les pre­mières lueurs du jour.
Elle revoit une aube sem­blable il y a vingt ans quand, sur un paque­bot, elle aper­çoit en com­pa­gnie de son mari, les côtes des Indes néer­lan­daises. Elle découvre ce qui lui semble le para­dis. Mais, très vite, elle déchante face à l’ennui de cette vie de gar­ni­son, à la peur dans ce pays en guerre et à l’attitude d’un mari alcoo­lique et violent. C’est Diah, sa ser­vante, qui l’entraîne à une céré­mo­nie et qui l’initie aux danses indo­né­siennes dédiées à la déesse de la fertilité.

Elle divorce et arrive à Paris où, grâce à deux hommes, elle va acqué­rir la célé­brité. Un éle­veur de volailles du Péri­gord va la faire entrer dans une société hup­pée où elle va ren­con­trer Émile Gui­met, le riche pro­prié­taire du musée du même nom. Celui-ci, féru de civi­li­sa­tion orien­tales, après l’avoir vu dan­ser, l’invite à se pro­duire dans son musée. C’est le début de la célé­brité. Pen­dant quelques années, elle sera la coque­luche du Tout-Paris.
Elle est amou­reuse, voyage en Europe, au Moyen-Orient et s’installe à Ber­lin. Quand elle com­prend que son amant ne quit­tera jamais son épouse, elle revient à Paris. Mais d’autres ont pris sa place : Colette Willis, Isa­dora Dun­can… Son errance la conduit en Alle­magne, se pro­dui­sant dans des galas de cha­rité, des fêtes de bien­fai­sance. Elle est à Ber­lin quand la guerre est décla­rée en août 1914.

Quelques temps plus tard, elle est contac­tée par un élé­ment des ser­vices secrets qui lui demande d’aller espion­ner les nom­breuses rela­tions qu’elle pos­sède à Paris.
Elle cède au chan­tage, à la pro­messe d’une belle somme d’argent, et reçoit le matri­cule H21

Aujourd’hui encore, plus d’un siècle après, le doute sub­siste quant à la culpa­bi­lité de cette femme. Sa per­son­na­lité et son des­tin conti­nuent de fas­ci­ner. Esther Gil et Laurent Patu­raud s’enflamment pour cette artiste, cette femme libre et pas­sion­née. La scé­na­riste, pour cer­ner cette per­son­na­lité et dépas­ser la légende sul­fu­reuse, pro­pose d’explorer trois grandes étapes de la vie de Mata Hari (L’œil du jour en java­nais). Elle a retenu son séjour, à la fin du XIXe siècle, sur l’île de Java, son ascen­sion comme dan­seuse exo­tique, puis ses rap­ports, en temps de guerre, avec les ser­vices secrets alle­mands et fran­çais, son pro­cès et sa condam­na­tion.
Le gra­phisme est l’œuvre de Laurent Patu­raud, un artiste pas­sionné d’histoire et de pein­ture. Si son des­sin est réa­liste, élé­gant, tout en finesse et sub­ti­lité, sa mise en cou­leurs rayonne et donne à cet album le carac­tère d’un livre de la grande Histoire.

Cette période a lon­gue­ment été explo­rée tant par Esther Gil que Laurent Patu­raud. Ils ont tra­vaillé à réunir une docu­men­ta­tion étof­fée pour res­ti­tuer l’atmosphère de cette période, pour les per­son­nages, les décors, les vête­ments et acces­soires ainsi que les évé­ne­ments mar­quants autour de Mata Hari. Le récit est com­plété par un dos­sier gra­phique et his­to­rique pré­sen­tant des études, des notices sur les prin­ci­paux pro­ta­go­nistes de ce drame, les hommes qu’elle a aimés, les hommes qui ont contri­bué à sa perte.
Ce superbe album éclaire la vie de cette femme énig­ma­tique et donne un avis cir­cons­tan­cié sur les évé­ne­ments, les faits qui l’ont pré­ci­pi­tée vers l’exécution. Le contexte poli­tique, en 1917, est dif­fi­cile. La rébel­lion s’installe face à cette inter­mi­nable bou­che­rie. Il fal­lait des exemples pour remon­ter le moral des troupes, redon­ner confiance à la population.

serge per­raud

Esther Gil (scé­na­rio) & Laurent Patu­raud (des­sin et cou­leurs), Mata Hari, Édi­tions Daniel Maghen, sep­tembre 2019, 72 p. – 16,00 €.

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