Frei Betto, Hotel Brasil

Le Bré­sil populaire !

Ce roman, publié au Bré­sil en 1999, tra­duit par les édi­tions de l’aube en 2004, a pour auteur un homme de convic­tions. Frei (Frère) Betto est domi­ni­cain. Uni­ver­si­taire, homme d’Église, il s’est engagé très jeune dans des mou­ve­ments sociaux. Il s’implique dans les fave­las et par­tage la vie de ses habi­tants.
En lutte contre la dic­ta­ture mili­taire (1964 – 1984), il est arrêté et subi pen­dant quatre ans un régime péni­ten­tiaire sévère. Membre fon­da­teur avec Lula da Silva, et quelques autres, du syn­di­cat Cen­tral Unica dos Tra­bal­ha­dores, il devient conseiller de celui-ci lorsqu’il accède à la pré­si­dence du Bré­sil. Il n’a jamais cessé d’écrire et compte une cin­quan­taine d’ouvrages de genres lit­té­raires divers. Aussi,  quel roman poli­cier peut bien écrire un tel per­son­nage ? C’est si intri­gant qu’on s’y plonge sans retard !

L’Hotel Bra­zil, une pen­sion de famille dans un quar­tier popu­laire de Rio de Janeiro, sert de cadre au récit. Il est tenu avec poigne par dona Dinó, une vieille femme qui pro­mène tou­jours son balai. Gra­vite dans ce cadre Cân­dido, qui tra­vaille comme cor­rec­teur pour un édi­teur. Seu Mar­çal est un commis-voyageur en pierres pré­cieuses. Madame Larên­cia s’entremet avec des clients vou­lant satis­faire leurs envies, leurs besoins, et des filles.
Mar­celo est jour­na­liste et se cha­maille sou­vent avec Dou­tor Pacheco, l’assistant d’un homme poli­tique. Le second consi­dère le pre­mier comme un simple col­lec­teur de nou­velles alors que lui fait par­tie des créa­teurs. Le trans­for­miste Dia­mante Negro, un géant noir, Rosaura, la jeune femme de ménage, et Jorge, l’homme à tout faire, com­plètent le groupe des pen­sion­naires. Osi­ris, le chat de la mai­son jette, avec ses yeux d’or, un regard énig­ma­tique sur la ronde de ces protagonistes.

L’his­toire débute quand Cân­dido est hyp­no­tisé par la tête énu­clée qui est à ses pieds, à la porte de la chambre de Seu Mar­çal dont le corps repose sur le lit. C’est le com­mis­saire Olinto Del Bosco, du com­mis­sa­riat de Lapa, qui se retrouve en charge de cette affaire. Or, celui-ci rêve d’une belle enquête qui le pro­pul­se­rait vers la noto­riété à laquelle il aspire.
Si les inter­ro­ga­toires per­mettent de décou­vrir les per­son­nages, leur passé, leurs acti­vi­tés, leurs sen­ti­ments et émo­tions comme leurs rêves, ils n’apportent aucune réponse quant aux mobiles du crime, dans la connais­sance de l’assassin. Et un second meurtre dans les mêmes condi­tions endeuille l’Hotel Brazil…

Avec le par­cours des dif­fé­rents per­son­nages, leurs ren­contres, leurs liens exté­rieurs, le roman­cier brosse un por­trait magni­fique du Bré­sil popu­laire. Il évoque la pau­vreté, les dif­fi­cul­tés quo­ti­diennes. Avec Cân­dido, dont le nom évoque un autre anti­hé­ros magni­fique, il fait décou­vrir l’existence de ces enfants aban­don­nés, réunis dans des éta­blis­se­ments proches de la pri­son.
C’est un uni­vers que Frei Betto connaît bien, s’étant lui-même occupé de ces enfants des rues.
Il évoque la vio­lence qui amène la majo­rité des habi­tants à s’enfermer dans leur propre mai­son. Avec des réflexions per­ti­nentes, cocasses, d’un bel à-propos, il insiste sur la peur qui accom­pagne cha­cun, revient sou­vent sur celle-ci. Ainsi : “Pour­quoi cette obli­ga­tion d’avoir l’air fort, quand on sait que la vie est faite de tant de peurs ?” Énu­mé­rant dif­fé­rentes sortes de peurs il conclut par celle-ci : “…l’ambition du pou­voir repré­sen­tait le paroxysme de la peur… la peur de l’anonymat.” Il émaille son récit de nombre de remarques sur les rap­ports hommes-femmes, sur la sexua­lité, sur l’amour, les pul­sions et les déviances — livrant, à ce sujet, une vision amu­sante des rap­ports entre Adam et Ève. Le roman­cier invente ainsi la littérature-placebo, bro­carde joyeu­se­ment le monde de la politique.

Avec une intrigue sub­tile bien que clas­sique, il amène son lec­teur à une chute peu com­mune et, ô com­bien !, spi­ri­tuelle quand on se rap­pelle qui il est et ce qui l’anime.

serge per­raud

Frei Betto, Hotel Bra­sil (Hotel Bra­zil), tra­duit du por­tu­gais (Bré­sil) par Richard Roux, Édi­tions de l’aube, coll. “Poche noire”, sep­tembre 2019, 344 p. – 14,00 €.

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Filed under Pôle noir / Thriller

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