Edmond Dziembowski, Le siècle des révolutions, 1660–1789

Il y a révo­lu­tion et révolution

Au moment où le Royaume-Uni connaît une grave crise poli­tique et peut-être ins­ti­tu­tion­nelle, on ne peut que vive­ment recom­man­der la lec­ture du livre, à la fois plai­sant et dense, four­millant de connais­sances et riche d’analyses, qu’Edmond Dziem­bowski consacre au siècle des révo­lu­tions qu’il voit cou­rir de 1660 à 1789.
Période capi­tale déli­mi­tée d’un côté par la res­tau­ra­tion monar­chique en Angle­terre – celle-ci ayant sur le long terme réussi pour le grand bon­heur de ce pays – et de l’autre par le début de la révo­lu­tion française.

La pre­mière par­tie traite, on s’en doute, des condi­tions de la res­tau­ra­tion des Stuarts, des règnes de Charles II et de Jacques II, puis du détrô­ne­ment de ce der­nier au béné­fice de sa fille Marie II et sur­tout de son gendre Guillaume III, dans le scin­tille­ment d’une révo­lu­tion dite Glo­rieuse (1688–89) que les Anglais vont pra­ti­que­ment déi­fier. Toutes les vicis­si­tudes de cette époque mar­quée par le conflit feu­tré mais néan­moins réel entre la Cou­ronne et le Par­le­ment trouvent leur ori­gine dans ce que Edmond Dziem­bowski appelle « la zone grise » des pré­ro­ga­tives non encore défi­nies avec pré­ci­sion entre les deux pou­voirs.
A la pru­dence de Charles II suc­cèdent les erreurs, les aveu­gle­ments et le « sui­cide poli­tique » de Jacques II qui aspire à créer une armée per­ma­nente et à y inté­grer des offi­ciers catho­liques. Une ligne rouge fran­chie et un manque de dis­cer­ne­ment qui rap­pellent ceux d’un Charles X. La Décla­ra­tion des Droits de 1689, seule, effa­cera la « zone grise » en fixant pré­ci­sé­ment la déli­mi­ta­tion des pou­voirs. Et on ne peut qu’être frappé par la viru­lence de la haine anti­ca­tho­lique, par le poids de la reli­gion dans les ques­tions poli­tiques mais aussi par l’intensité de la vie poli­tique déjà struc­tu­rée autour de la lutte bipar­ti­sane, la convo­ca­tion et la pro­ro­ga­tion du Par­le­ment et la for­ma­tion dif­fi­cile des gou­ver­ne­ments de Sa Majesté.

Une révo­lu­tion donc mais conser­va­trice et sur­tout – insiste avec rai­son l’auteur – d’un carac­tère stric­te­ment anglais. Rien d’universel chez elle. Ce qui ne l’empêche pas de faire rêver les grands esprits du XVIII° siècle, Vol­taire en pre­mier. Et il fau­dra attendre l’abbé Sieyès pour voir ce « modèle anglais » refusé au nom d’un pro­jet plus pro­fond et moins équi­li­bré…
Une révo­lu­tion qui accouche aussi d’une fille à la fois fidèle et rené­gate, à Bos­ton, dans les colo­nies d’Amérique. Là-bas les colons insur­gés rédigent une décla­ra­tion de Vir­gi­nie qui porte déjà une vision plus uni­ver­selle. Les Fran­çais en 1789 se chargent de finir le tra­vail. Mais l’intérêt du livre est aussi de mon­trer les échos de ces évé­ne­ments sur l’ensemble des Etats européens.

Edmond Dziem­bowski apporte une réponse claire à l’interrogation sur l’accélération des évé­ne­ments pen­dant ce siècle des révo­lu­tions : entre les années 1750 et 1780, s’est glis­sée la révo­lu­tion amé­ri­caine qui rend sou­dain vétuste le modèle anglais. D’ailleurs, les Bri­tan­niques ne s’y sont pas trom­pés en refu­sant désor­mais la moindre réforme poli­tique jusqu’en 1832.
Rien qui res­semble à une démo­cra­tie dans ce sys­tème oli­gar­chique dominé et contrôlé par les Whigs. Mais aussi rien qui pour­rait rame­ner le pays à la guerre civile de 1642 qui est, on le voit très bien, une obses­sion des res­pon­sables politiques.

Les pages sur les vicis­si­tudes fran­çaises sont très éclai­rantes. Riches de por­traits pré­cis et vivants des pro­ta­go­nistes, elles décrivent avec minu­tie la « révo­lu­tion » (le terme est de l’auteur) du chan­ce­lier Mau­peou qui porte atteinte à la péren­nité des ins­ti­tu­tions tra­di­tion­nelles du royaume. Et Edmond Dziem­bowski n’a pas de mots assez sévères pour cri­ti­quer l’aveuglement de Louis XVI et de Ver­gennes à pro­pos des effets de la guerre d’Amérique (la plus grave erreur du roi selon lui), les mys­ti­fi­ca­tions, les men­songes et les mani­pu­la­tions de Necker et le refus du sou­ve­rain d’accepter de bonne foi les aspi­ra­tions à une monar­chie tem­pé­rée par la sépa­ra­tion des pou­voirs.
D’accord pour des réfor­mettes mais pas pour des réformes struc­tu­relles pro­fondes. Si l’on ne sui­vra pas l’auteur dans sa convic­tion que les Lumières n’ont pas joué de rôle dans la révo­lu­tion fran­çaise (en tout cas, pas dit d’une manière aussi abrupte !), on le rejoin­dra plei­ne­ment sur ces der­niers points.

Pour­quoi en fin de compte la révo­lu­tion en France déraille-t-elle ? Edmond Dziem­bowski incri­mine l’arrivée bru­tale du « peuple » sur la scène poli­tique en juillet 89 mais aussi l’échec des monar­chiens en sep­tembre qui met à bas le modèle anglais duquel tout aurait été peut-être pos­sible. La révo­lu­tion des Fran­çais peut-elle alors être com­pa­rée au dieu Janus ? Oui, à condi­tion de ne jamais sépa­rer ces deux visages. La tabula rasa ori­gi­nelle porte en elle tous les mas­sacres.
Quoi qu’il en soit, la France et l’Angleterre n’ont ni la même géo­gra­phie ni la même his­toire. Leurs routes ont divergé dès le Moyen Age. Pour autant, le livre rap­pelle le poids des « grands hommes » dans l’histoire. Les Fran­çais n’ont donc pas pris le che­min de la monar­chie à l’anglaise que non seule­ment ce mal­heu­reux Charles X mais aussi Louis XVI avant lui se sont éver­tués à refu­ser. Il est des erreurs des diri­geants que les peuples payent.

fre­de­ric le moal

Edmond Dziem­bowski, Le siècle des révo­lu­tions, 1660–1789, Per­rin, sep­tembre 2019, 620 p. — 27,00  €.

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