Timothé Le Boucher, Le Patient

Machia­vé­lique…

Dans son nou­vel album, Timo­thé Le Bou­cher déve­loppe de nom­breuses thé­ma­tiques parmi les­quelles on peut citer, le temps qui échappe, la recons­truc­tion après un trau­ma­tisme, le milieu hos­pi­ta­lier, la repro­duc­tion sociale… La prin­ci­pale étant, cepen­dant, la rela­tion qui s’établit entre le patient et sa thé­ra­peute, rela­tion faite d’ambiguïté sous des dehors presque sereins. Anna Kief­fer, tel un pyg­ma­lion, l’aide à reprendre vie, à se recons­truire, dévoile des évé­ne­ments, lui per­met de faire remon­ter des sou­ve­nirs qu’il pen­sait enfouis à jamais…

Pierre Gri­maud reprend conscience, après six ans de coma, dans une chambre d’hôpital. Il apprend qu’il est l’unique sur­vi­vant du drame qui a anéanti sa famille, celle-ci ayant été mas­sa­crée par sa sœur Laura. Cette der­nière avait été retrou­vée, errant dans les rues, en pleine nuit, cou­verte de sang, un poi­gnard à la main. Cette reprise de conscience s’accompagne de cau­che­mars qui l’angoissent. Une sil­houette sombre s’introduit dans sa chambre, se perche sur sa poi­trine, l’étouffe. Il n’a aucun sou­ve­nir de sa vie anté­rieure.
Se pré­sente à l’hôpital Anna Kief­fer, une psy­cho­logue spé­cia­li­sée en cri­mi­no­lo­gie et vic­ti­mo­lo­gie. Elle pro­pose son aide à Pierre qui ne com­prend pas pour­quoi cette femme fait deux heures de voyage pour le voir. N’y a-t-il pas des psy­cho­logues atta­chés à l’établissement hos­pi­ta­lier ? Il finit par accep­ter sa pré­sence. Peu à peu, Anna l’amène à se sou­ve­nir d’événements vécus pen­dant son ado­les­cence. Ses rémi­nis­cences ne peuvent remon­ter qu’à l’année de ses quinze ans, l’âge qu’il avait quand il a été laissé pour mort.

Des liens se tissent. Anna découvre chez Pierre une per­son­na­lité riche, un être sen­sible et très intel­li­gent. Mais Anna a soi­gné Laura qui, lors de la troi­sième ren­contre, est sor­tie de son mutisme pour bre­douiller quelques mots. Quelques jours plus tard, elle se suicidait…

L’auteur ins­tille nombre de don­nées, ins­truit plé­thore de situa­tions com­plé­men­taires qui ins­tallent une ambiance, font res­sor­tir des malaises pro­fonds, des vécus pénibles, des actes dif­fi­ciles… Le scé­na­riste laisse pla­ner un cer­tain trouble avec des appa­ri­tions, des images dont on  ne sait si elles sont réelles ou pro­duites par l’esprit du Patient. Il montre des cou­loirs de ser­vices hos­pi­ta­liers vides, livrés la nuit à toutes sortes de pos­si­bi­li­tés.
Peu à peu, ce qui parais­sait simple se com­plexi­fie jusqu’à une conclu­sion machiavélique.

Le des­sin relève de la ligne claire où quelques traits suf­fisent pour construire des per­son­nages, des décors. Ces der­niers sont d’ailleurs mini­ma­listes compte tenu du milieu où se déroule prin­ci­pa­le­ment le récit et parce que l’important réside dans les pro­ta­go­nistes et dans les rap­ports entre eux.
La mise en cou­leurs dans des tons unis, neutres, presque sans dégra­dés, ren­force cette atmo­sphère.
Avec Le Patient, Timo­thé Le Bou­cher dis­sèque une situa­tion trau­ma­ti­sante qui se révèle d’une rare com­plexité, avec un couple de per­son­nages remar­qua­ble­ment construit ser­vant une intrigue menée de main de maître.

serge per­raud

Timo­thé Le Bou­cher (scé­na­rio, des­sin, cou­leurs), Le Patient, Glé­nat , coll. “1000 feuilles”, for­mat 200 x 273, avril 2019, 296 p. – 25,00 €.

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Filed under Bande dessinée, Chapeau bas

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