Une fresque historique spectaculaire
Ce récit s’inscrit pendant le conflit qui opposa l’Espagne, qui avait fait des Philippines une de ses colonies, aux États-Unis avides d’imposer leur domination dans l’océan Indien et Pacifique. Ce conflit, qui prit sa source lors du refus par l’Espagne de vendre l’île de Cuba aux USA, se déroula d’avril à août 1898. Parallèlement, les Espagnols doivent faire face à une insurrection des Philippins qui réclament leur indépendance, aidés en sous-main par l’Angleterre, une fois encore la perfide Albion.
Avec cette aventure historique en deux tomes, le scénariste et le dessinateur mettent en scène, à travers les péripéties vécues par deux frères, les différentes étapes de la fin de la colonisation de l’Espagne sur cette région et le début de l’impérialisme sur ce même pays des États-Unis.
En 1897, Félix et son père travaillent dans les mines à Ortuella, en Espagne. Suite à un accident, il faut amputer la jambe du père. Pour faire vivre sa famille, pour apurer une dette, Félix n’a pas d’autre solution que prendre la place du fils du cantinier qui a été tiré au sort pour effectuer son service militaire dans les Philippines. José, le frère de Félix est déjà là-bas depuis un an. Il a fort à faire avec sa hiérarchie.
Sur le bateau, Félix fait la connaissance, dans des conditions matérielles difficiles, de ceux avec qui il va partager sa nouvelle vie. C’est à Port-Saïd, où ils font escale, qu’il retrouve le docteur Salgado, celui qui a soigné son père. Il fait également son service militaire. Félix apprend que la situation se tend entre son pays et les États-Unis à cause de Cuba. La guerre hispano-américaine est imminente.
A Baler, en avril 1898, José prend la défense de Luwalathi, une jeune lavandière agressée par un autre soldat. Alors que Félix découvre la traîtrise à Manille, que la flotte américaine anéantit la flotte espagnole, à Baler, la petite troupe prépare sa défense autour d’une église, contre les assauts d’indépendantistes bien supérieurs en nombre…
Le scénariste fait vivre la bataille navale qui opposa les deux flottes et qui reste dans l’histoire de l’Espagne sous le nom de Désastre 98. De même, un des frères va vivre la bataille de Baler, une petite cité côtière où 50 soldats espagnols résistèrent pendant 11 mois aux assauts des révolutionnaires philippins. La paix était signée depuis plusieurs mois, mais cette petite garnison l’ignorait, coupée de toute communication. À leur reddition, les survivants furent traités comme des amis plutôt que des prisonniers !
Les deux frères développent des relations amoureuses. José s’attache à Luwalathi alors que Félix est séduit par Luningning, une jeune autochtone qui accompagne la fille d’un ancien ami de son père. Ces relations vont compliquer nombre de situations et rendre cruciaux certains événements.
Le dessin réaliste, tonique, dynamique, est assuré par Alex Macho. Celui-ci réalise des planches superbes, une mise en page privilégiant le mouvement, développe de larges vignettes pour les scènes de bataille navale, pour les mouvements de troupe. Il compose une série de personnages avec moult détails, offrant une reconstitution historique fort documentée.
Un premier tome qui emporte l’adhésion tant pour le scénario étoffé, précis, documenté que pour un graphisme brillant.
serge perraud
Gregorio Muro Harriet (scénario, traduit par Aurore Schmid), Alex Macho (dessin) & Garluk Aguirre (couleurs), La Honte et l’Oubli – t.01 : Le Désastre, Glénat, coll. “24x32”, mai 2019, 56 p. – 14,50 €.