Sandrine Collette, Animal

Y a-t-il une fron­tière entre huma­nité et animalité ?

L’action se par­tage entre le Népal et la gigan­tesque presqu’île vol­ca­nique située à l’Extrême-Orient russe, une bande de 1250 kilo­mètres. Zone mili­taire après la Seconde Guerre mon­diale, son accès n’est auto­risé aux étran­gers que depuis 1992. L’ours brun y règne en maître. Une esti­ma­tion éva­lue sa popu­la­tion entre 15 500 et 16 500 têtes.
Outre un pro­logue, le roman se par­tage en deux par­ties avec Hadrien pour nar­ra­teur prin­ci­pal et des cha­pitres consa­crés aux réac­tions de l’ours. San­drine Col­lette donne de cette bête une image fort bien docu­men­tée, loin des repré­sen­ta­tions hol­ly­woo­diennes. Elle montre un fauve dan­ge­reux, capable de ruses mais qui doit assu­mer son méta­bo­lisme. L’hibernation est une période très dif­fi­cile pour l’animal.

Mara, au Népal, vit pau­vre­ment dans une cabane bien à l’écart du vil­lage. C’est en rele­vant ses col­lets, vides encore une fois, qu’elle coupe, par réflexe, la corde qui retient un petit gar­çon à un arbre, en pleine forêt. Le len­de­main, elle délivre une petite fille. Mais elle sait qu’elle a fauté, qu’elle sera punie. Elle doit donc fuir, se cacher au sein d’une grande ville. Avec Nun le gar­çon et Nin la fille, la vie dans le bidon­ville est encore plus dure. Les enfants intègrent des bandes. Nun se fait prendre à voler. Il est mutilé. Mara décide de retour­ner dans le vil­lage. Elle emmène Nun et aban­donne Nin, qu’elle blesse, devant un hôpi­tal.
Hadrien observe la nature, ses com­pa­gnons, mais sur­tout Lior, son épouse, qui est déjà à l’affût, prête à la chasse. Elle n’est jamais aussi vivante que lorsqu’elle chasse. Et Hadrien, amou­reux fou, la suit bien qu’il n’ait aucun goût pour la traque de gibier. Ils sont là, au Kamt­chatka, pour tra­quer l’ours brun. Ce sont Anna­belle et Gau­vain qui les ont convain­cus de les accom­pa­gner. Ils sont six autour de Vlad, le guide. Ils ont signé pour un ours cha­cun. L’ours observe. C’est l’automne et il lui faut man­ger, encore man­ger pour avoir suf­fi­sam­ment de réserves pen­dant sa période d’hibernation. Il per­çoit une pré­sence étran­gère et pressent qu’elle va le gêner.
Le groupe trouve une pre­mière trace, une pre­mière piste, celle d’un “petit” ours. Déçus, ils la suivent cepen­dant jusqu’au moment où Lior énonce “Ce n’est plus le même ours que ce matin.” Et la traque prend une autre dimen­sion, plus tra­gique quand la bête attaque leur cam­pe­ment, tue Gau­vain. Lior, n’écoutant que son ins­tinct, se lance seule à la pour­suite du fauve…

La roman­cière place ses per­son­nages dans une région hos­tile, pro­pice à des dan­gers de toutes natures. Elle décrit une nature et une traque des plus vio­lentes puis elle pro­pose un autre volet dans lequel les véri­tables rai­sons qui ont struc­turé la per­son­na­lité de l’héroïne explosent. Celle-ci éprouve pour la chasse une fas­ci­na­tion exa­cer­bée qui l’amène à se trans­for­mer, à révé­ler sa vraie nature, tant sur le plan phy­sique que sur son com­por­te­ment. Elle devient par­tie pre­nante de l’environnement, retrou­vant et dévoi­lant une ani­ma­lité, une sau­va­ge­rie qui se tra­duit par une capa­cité à per­ce­voir des sons, des odeurs, cap­ter des sen­sa­tions igno­rées de l’humain lambda. Elle renaît lorsqu’elle traque un gibier : “J’ai l’impression d’être des leurs.” Elle devient infa­ti­gable, ten­due vers le seul but de pié­ger sa proie même si cette proie pèse six cents kilos.
Autour d’elle, gra­vite Hadrien son com­pa­gnon qui, par amour, la suit dans ses traques quelques semaines par an. Il n’est pas chas­seur et porte sur cette caté­go­rie un regard peu flat­teur : “… les autres, ceux qui beu­glaient, ceux qui buvaient, ceux avec qui il fal­lait ripailler quand la traque s’achevait…”

Sandrine Col­lette avec son art de l’intrigue, sa maes­tria à mani­pu­ler ses per­son­nages (et ses lec­teurs !), fera d’Hadrien le témoin, un acteur déci­sif par la force des cir­cons­tances. Elle montre, ainsi, com­ment un indi­vidu peut évo­luer quand des moti­va­tions fortes le poussent en avant, le dotent d’une volonté farouche pour se défendre ou pour sau­ver l’être aimé.
Avec ce livre, l’auteure explore, d’une autre façon, cette mince fron­tière entre ani­ma­lité et huma­nité, cette limite ténue entre ins­tinct et intel­li­gence, cette résur­gence du goût de la traque, du sang.

Encore une fois, San­drine Col­lette, qui n’a pas on pareil pour explo­rer l’âme humaine, le tré­fonds de l’humanité, les com­por­te­ments de ses contem­po­rains, signe un admi­rable roman où la fron­tière entre huma­nité et ani­ma­lité se fond, s’efface pour lais­ser place à une nou­velle personnalité.Surtout, si vous vou­lez pro­fi­ter de la magni­fique intrigue ima­gi­née par la roman­cière, abstenez-vous de lire la qua­trième de cou­ver­ture. Un spoi­ler détruit une large part du suspense.

serge per­raud

San­drine Col­lette, Ani­mal, Denoël, coll. “Sueurs Froides”, février 2019, 288 p. – 19,90 €.

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Filed under Chapeau bas, Pôle noir / Thriller

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