Avec Katanga, Fabien Nury concocte un récit, entre polar et aventures, axé sur la rapacité des dirigeants et sur les mercenaires, ces soldats présents sur presque tous les conflits mais restant dans l’ombre. Le choix du Katanga se révèle pertinent. En effet, c’est dans cette province du Congo que les dirigeants en firent un usage immodéré.
C’est le 30 juin 1960 que le Congo après des décennies de colonisation belge prend son indépendance. Tout de suite, au Katanga, une province extrêmement riche en gisements de toutes natures, Moïse Tshombé déclare l’indépendance. Les dirigeants du nouvel Etat, qui comptaient sur les richesses de la région, ne l’entendent pas de cette oreille. C’est la guerre, une guerre pour laquelle l’Union Minière du Haut-Katanga, encore dirigée par des Belges, fait appel à l’armée belge et recrute des mercenaires pour protéger ses intérêts. Ces derniers seront appelés Les Affreux. Et cette guerre se révéla horrible avec un degré très élevé sur une échelle bien fournie dans le genre. L’auteur en donne des symboles forts, décrit des situations dures, terribles quand, par exemple, Orsini écrase son mégot de cigarette dans la flaque de sang de Lumumba ou quand il se débarrasse du corps avec un mercenaire allemand.
Alicia est avec Bernard Forthys, l’ex-directeur de L’Union Minière du Haut-Katanga, quand on annonce à celui-ci, par téléphone, que l’argent est disponible. Il s’agit de dix millions de dollars pour racheter les diamants dérobés par Charlie, le frère d’Alicia. Elle lui assure qu’elle restera avec lui tant qu’il le voudra à condition d’épargner la vie de son frérot. Elle lui raconte pourquoi elle est si attachée à ce frère.
À Elisabethville, ce 16 janvier 1961, un avion-cargo amène un homme encagoulé pour Munongo de la part du colonel Mobutu. Il est réceptionné par Armand Orsini. Il s’agit de Patrice Lumumba. Mais le ministre se met en colère car il considère cette livraison très encombrante. C’est Orsini qui trouve la solution. Il pourrait être abattu lors d’une évasion.
Charlie et Félix Cantor, le mercenaire, font route vers Elisabethville où le premier doit être payé pour les diamants d’une valeur de trente millions de dollars. Mais une telle fortune aiguise tous les appétits
Le contexte historique déjà riche en rebondissements offre un terrain de choix pour raconter une histoire qui montre les côtés effrayants d’un tel conflit et la qualité des acteurs, une flopée de personnages tous plus ignobles les uns que les autres. Mêlant avec une adresse diabolique des personnes authentiques telles que Mobutu, Lumumba, Tshombé, des événements réels comme l’assassinat de Patrice Lumumba, Fabien Nury intègre des actions nées de son imagination et des protagonistes de son cru, inspirés sans doute d’individus réels ou d’une combinaison de protagonistes.
La rapacité est la motivation principale des acteurs du récit. Le scénariste ne fait-il pas dire à l’un des dirigeants du Congo : “Et puis après tout… Qu’est-ce qu’une poignée de diamants… quand on a tout un pays à voler ?” Il donne également la parole à quelques hommes d’affaires qui se révèlent spécialement odieux, voulant faire prospérer le profit dans le bain de sang.
Émerge, cependant, de cette galerie d’abjects, trois protagonistes qui relèvent la notion d’humanité. Il s’agit d’Alicia qui tente de survivre avec les moyens dont elle dispose, de Charlie qui mène un combat pour sa sœur et de Félix Cantor, le soldat perdu.
Sylvain Vallée met cette série de situations en images avec un dessin puissant, aux traits forts dans un effet semi-réaliste pour les trognes des protagonistes. Il n’y a pas « d’Apollon » dans sa galerie de personnages. Hors Alicia, à la beauté rayonnante, ils sont tous laids, à l’image de la majorité de l’humanité souffrante. Les décors sont superbes, mais ce sont les expressions des acteurs du drame qui sont si bien rendues. S‘ils sont légèrement caricaturés, les personnages authentiques sont fort ressemblants.
Avec Dispersion, les créateurs signent la fin d’une trilogie, ô combien !, éclairante sur ce que sont capables de faire des individus avides de pouvoir, de richesses dans un contexte historique parfaitement rendu.
serge perraud
Fabien Nury (scénario) & Sylvain Vallée (dessin et couleur), Katanga – t.03 : Dispersion, Dargaud, janvier 2019, 68 p. – 16,95 €.