C’est un très beau livre, subtil et nuancé, que l’abbé de Tanoüarn nous offre de lire à propos de la fraternité. Chacun sait que celle-ci figure en bonne place dans la trinité républicaine mais elle est, à coup sûr, la plus abstraite, la plus insaisissable, la plus difficile à concrétiser.
Disons-le d’emblée, pour l’abbé de Tanoüarn, il ne peut exister de fraternité au sein de la plus stricte égalité et dans l’absolutisation de la liberté. Pour être frères, il faut un père commun. Une transcendance capable d’unir fraternellement croyants et non croyants autour de valeurs concrètes et communes, celles justement que propose le christianisme.
C’est une nécessité. Une urgence, explique-t-il, car l’Etat se voit aujourd’hui contraint d’adopter une « hyperréglementation » autoritaire pour établir un semblant de relations communes. Pas de vivre ensemble donc sans un bien commun. Mais alors comment procéder à cette union quand, en France, le patriotisme est un délit moral ?
L’abbé nous livre une réflexion aussi belle qu’intense sur le multiculturalisme qui ne peut conduire qu’à une catastrophe car il fait cohabiter des peuples différents, enfermés dans leur identité, leur exclusivité, leur refus de toute assimilation. Or, sans une identité chrétienne clairement affirmée, et dans laquelle même les athées pourraient se retrouver, l’islamisation des sociétés européennes est inéluctable. Le laïcisme, loin de constituer la solution, aggrave le problème en stimulant les réactions négatives des croyants. Là aussi, l’islam en sortira gagnant.
Avec une acuité remarquable, l’abbé de Tanoüarn analyse la décomposition sociale à l’œuvre et il faut citer ces propos absolument prophétiques puisque écrits avant la crise des gilets jaunes : « Nous vivons aujourd’hui dans une société qui, dans une absence totale de convictions communes, connaît une lente incubation de la violence : d’affaire en affaire, elle semble prête à exploser […] On sent qu’il faudrait peu de chose pour que le chaudron explose et on pressent qu’en retour la République, pour garder la main, puisse s’imposer au mépris non seulement de la loi mais des libertés. » Nous y sommes.
Il faut donc une morale commune pour éviter la désagrégation et l’arbitraire, et surtout pour protéger l’homme. Car c’est cela l’enjeu majeur de notre époque. Comme l’explique très bien l’abbé de Tanoüarn, ce ne sont ni le libéralisme ni le capitalisme qui sont mauvais en eux-mêmes, mais l’absence de référence à la transcendance, à la morale chrétienne, aux traditions.
On appréciera donc les pages favorables à Adam Smith et Hayek, loin des caricatures actuellement en vogue chez certains analystes chrétiens. Sans parler du superbe chapitre sur Rousseau, père du totalitarisme moderne, et en particulier du fascisme italien.
On s’interrogera davantage sur les vertus de la laïcité ouverte qui pourrait s’avérer un piège pour compromettre l’Eglise avec les idéologies actuelles, ainsi que sur les bienfaits de la tolérance dont parle l’abbé. Ne faudrait-il pas davantage parler de bienveillance à l’égard des pêcheurs ? La tolérance n’est-elle pas l’acceptation de tout ?
Cela étant dit, ce livre est une pépite, très souvent à contre-courant (notamment avec une apologie du pape François !), qui suscite chez le lecteur une foisonnante réflexion.
frederic le moal
Guillaume de Tanoüarn, Le prix de la fraternité, Tallandier, septembre 2018, 333 p. — 18,90 €.