Guillaume de Tanoüarn, Le prix de la fraternité

La fra­ter­nité chrétienne

C’est un très beau livre, sub­til et nuancé, que l’abbé de Tanoüarn nous offre de lire à pro­pos de la fra­ter­nité. Cha­cun sait que celle-ci figure en bonne place dans la tri­nité répu­bli­caine mais elle est, à coup sûr, la plus abs­traite, la plus insai­sis­sable, la plus dif­fi­cile à concré­ti­ser.
Disons-le d’emblée, pour l’abbé de Tanoüarn, il ne peut exis­ter de fra­ter­nité au sein de la plus stricte éga­lité et dans l’absolutisation de la liberté. Pour être frères, il faut un père com­mun. Une trans­cen­dance capable d’unir fra­ter­nel­le­ment croyants et non croyants autour de valeurs concrètes et com­munes, celles jus­te­ment que pro­pose le christianisme.

C’est une néces­sité. Une urgence, explique-t-il, car l’Etat se voit aujourd’hui contraint d’adopter une « hyper­ré­gle­men­ta­tion » auto­ri­taire pour éta­blir un sem­blant de rela­tions com­munes. Pas de vivre ensemble donc sans un bien com­mun. Mais alors com­ment pro­cé­der à cette union quand, en France, le patrio­tisme est un délit moral ?
L’abbé nous livre une réflexion aussi belle qu’intense sur le mul­ti­cul­tu­ra­lisme qui ne peut conduire qu’à une catas­trophe car il fait coha­bi­ter des peuples dif­fé­rents, enfer­més dans leur iden­tité, leur exclu­si­vité, leur refus de toute assi­mi­la­tion. Or, sans une iden­tité chré­tienne clai­re­ment affir­mée, et dans laquelle même les athées pour­raient se retrou­ver, l’islamisation des socié­tés euro­péennes est iné­luc­table. Le laï­cisme, loin de consti­tuer la solu­tion, aggrave le pro­blème en sti­mu­lant les réac­tions néga­tives des croyants. Là aussi, l’islam en sor­tira gagnant.

Avec une acuité remar­quable, l’abbé de Tanoüarn ana­lyse la décom­po­si­tion sociale à l’œuvre et il faut citer ces pro­pos abso­lu­ment pro­phé­tiques puisque écrits avant la crise des gilets jaunes : « Nous vivons aujourd’hui dans une société qui, dans une absence totale de convic­tions com­munes, connaît une lente incu­ba­tion de la vio­lence : d’affaire en affaire, elle semble prête à explo­ser […] On sent qu’il fau­drait peu de chose pour que le chau­dron explose et on pressent qu’en retour la Répu­blique, pour gar­der la main, puisse s’imposer au mépris non seule­ment de la loi mais des liber­tés. » Nous y sommes.

Il faut donc une morale com­mune pour évi­ter la désa­gré­ga­tion et l’arbitraire, et sur­tout pour pro­té­ger l’homme. Car c’est cela l’enjeu majeur de notre époque. Comme l’explique très bien l’abbé de Tanoüarn, ce ne sont ni le libé­ra­lisme ni le capi­ta­lisme qui sont mau­vais en eux-mêmes, mais l’absence de réfé­rence à la trans­cen­dance, à la morale chré­tienne, aux tra­di­tions.
On appré­ciera donc les pages favo­rables à Adam Smith et Hayek, loin des cari­ca­tures actuel­le­ment en vogue chez cer­tains ana­lystes chré­tiens.  Sans par­ler du superbe cha­pitre sur Rous­seau, père du tota­li­ta­risme moderne, et en par­ti­cu­lier du fas­cisme italien.

On s’interrogera davan­tage sur les ver­tus de la laï­cité ouverte qui pour­rait s’avérer un piège pour com­pro­mettre l’Eglise avec les idéo­lo­gies actuelles, ainsi que sur les bien­faits de la tolé­rance dont parle l’abbé. Ne faudrait-il pas davan­tage par­ler de bien­veillance à l’égard des pêcheurs ? La tolé­rance n’est-elle pas l’acceptation de tout ?
Cela étant dit, ce livre est une pépite, très sou­vent à contre-courant (notam­ment avec une apo­lo­gie du pape Fran­çois !), qui sus­cite chez le lec­teur une foi­son­nante réflexion.

fre­de­ric le moal

Guillaume de Tanoüarn, Le prix de la fra­ter­nité, Tal­lan­dier, sep­tembre 2018, 333 p. — 18,90 €.

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