Le Chroniqueur ne s’attarde pas sur la prime enfance du Prince, soulignant simplement qu’il est solitaire et boulimique de lecture dès son plus jeune âge. Puis il expose son entrée dans La Pro, le collège jésuite d’Amiens. Il établit alors un parallèle subtil entre le Prince et le fondateur de l’ordre, un certain Ignace de Loyola. C’est aussi la rencontre, dans ces lieux, avec la baronne d’Auzière quand il avait quinze ans, qu’elle en avait trente-neuf et des enfants de son âge.
Patrick Rambaud rappelle quelques situations similaires tant dans la réalité qu’en littérature où des dames ont des amants bien plus jeunes. Il évoque également l’esprit jésuite qui marque ceux qui les fréquentent. Puis, c’est le récit des différentes étapes qui, de la sortie de l’ENA au passage par la banque, l’ont amené au poste de ministre des finances sous le quinquennat de M. de la Corrèze dit François-le-Mou. C’est ensuite l’histoire de l’improbable campagne qui l’a mené jusque sur le trône et des premiers mois du règne où s’établit une sorte d’état de grâce…
Il est très plaisant de revivre des événements récents à travers le filtre si humoristique de Patrick Rambaud. Celui-ci sait mettre en avant le point de détail qui éclaire une situation, révéler un cheminement, focaliser l’attention sur une action, une réflexion, un sentiment. Son art du portrait fait mouche à chaque touche, avec un choix de vocabulaire tout à fait approprié, où chaque mot a son sens et sa place. Mais il garde une distinction même quand il égratigne avec vigueur et reste poli, donnant les titres de ses victimes, leur donnant du “M.” ou du “Mme”.
Avec son personnage principal et son parcours, il porte un regard aigu sur notre société et livre des remarques pleines de bon sens et de pertinence. Il en est ainsi de l’appauvrissement de la culture et de l’usage de la langue française faisant remarquer : “…et que les anglomanes, qui manquaient de vocabulaire français, nommaient le burn out.” Évoquant des Politiques : “Ceux qui avaient autrefois lu des livres citaient…”
L’auteur s’attache à évoquer les bouleversements, les soubresauts d’une civilisation, les avatars de certains personnages comme le duc de Sablé, M. Fillon ; ceux, dans un autre genre, d’Harvey Weinstein et ses semblables. Pour ce dernier, le chroniqueur évoque la Préhistoire où l’homme avait moins d’égards pour la femme que le singe pour la guenon et définit ainsi, la clique des Weinstein sur la planète comme : “…des balourds bloqués à la Préhistoire.” Mais si les femmes, dans la civilisation occidentale, peuvent réagir et tenter de se défendre, il explicite la situation de celles qui sont encore sous le menaçant joug machiste en Inde, en Amérique latine, en Inde…
Il donne un aperçu des modifications dans les comportements, modifications portées par les nouveaux moyens de communication : “À cette époque moderne où les mots n’étaient plus écoutés, on se contentait de regarder des images dépourvues de sous-titres.” En évoquant une femme dénonçant les abus de Weinstein : “… fut rudement attaquée par les braves anonymes des réseaux électroniques.” Il décrit les acteurs de la campagne présidentielle citant le baron de la Méluche qui a des slogans faciles et a été un sénateur établi, M. Hamon, Mlle de Montretout. Pour celle-ci, il détaille le cadre et les conditions du débat dans lequel elle fit preuve de son incompétence et de son ridicule.
Si l’on retrouve le ton des précédentes chroniques, celles relatives à Sarkozy, à Hollande, le paysage politique a bien changé et les événements n’ont plus rien à voir avec les précédents. M. Rambaud fait montre d’une immense culture qui se révèle au détour d’un paragraphe, citant, par exemple, à propos de M. Hamon et de son revenu universel le Britannique Thomas Paine qui, dès 1795, préconisait : “…une dotation en terre à chaque adulte et d’attribuer une rente dès la vieillesse.“
Ces quelques exemples éclairent la capacité du chroniqueur à rebondir sur un sujet et à en pointer l’absurdité ou la vacuité, à dénoncer des injustices, des faits odieux.
Un livre superbe par la qualité de son écriture, la vision éclairée des situations que l’auteur aborde. Cette chronique d’un règne est à lire et à relire tant la matière est dense et présentée de façon si plaisante.
serge perraud
Patrick Rambaud, Emmanuel Le Magnifique. Chronique d’un règne. Grasset, janvier 2019, 198 p. – 18,00 €.