Une ode au cinéma des années 1970
Pourquoi ce cinéphile averti est-il si fâché d’avoir dû payer dix-sept francs une place de cinéma à Paris en 1980 ?
Parce que jusqu’à maintenant il allait dans le cinéma tenu par sa grand-mère à Aunay-sur-Odon, dans le Calvados.Les souvenirs affluent pour Rico penché sur une malle remplie à ras bord d’affiches de tous formats, cadeau posthume de Simonne, sa grand-mère. Il redécouvre les films des années 1960/70 et se remémore cette journée d’avril 73 qui, avec la découverte d’un tableau, a été le fait déclencheur d’une folle équipée.
Rico, le fils d’Annie, une des sept enfants de Simonne, passe ses vacances en Normandie. Il fréquente assidûment Le Select, de sa grand-mère. Un rituel le rend euphorique, celui qui consiste à aller faire le plein des friandises vendues à l’entracte et à parcourir les environs pour coller les affiches qui annoncent les prochains films. Au terme du périple, avant de rentrer, ils dînent dans un café de quartier. Alors qu’il écarte les champignons de son escalope dans la vallée d’Auge, Nico voit un tableau qui représente son grand-père, le grand Jacques parti sans un mot, sans une explication, il y a presque dix ans.
Le peintre est facilement retrouvé. Mais, il a travaillé selon une photo. Sur celle-ci, le grand-père pose devant un véhicule dans un décor de désert. Nico découvre que le véhicule est le Dodge D15 modifié qui a servi pour Un Taxi pour Tobrouk tourné en Andalousie. Début juillet, aux premiers jours des vacances, Simonne et Nico s’embarquent à bord de la Deux-chevaux pour un périple riche en péripéties et rebondissements…
S’appuyant sur le cinéma des années 1970, sur des souvenirs de cette époque, Erick George-Egret imagine un road movie cocasse et insolite mettant en scène une grand-mère singulière et son petit-fils, le narrateur de l’aventure. Le romancier fait débuter son récit dans une salle rurale de cinéma avec tout ce que ce statut pouvait comporter, puis bascule dans l’univers du cinéma et dans celui des grands acteurs qui ont fait les beaux jours de cet art.
Partant de Normandie, il envoie ses deux héros en Espagne, en Sicile où ils vont visiter les hauts lieux de tournage et croiser des personnages mythiques comme Sergio Leone, Robert de Niro, Jean-Paul Belmondo, Louis de Funès, Francis Ford Coppola… Il évoque nombre de ceux qui ont participé à la construction de ce Septième art dans les années 70.
Fidèle à son style narratif, il introduit à chaque occasion, et elles sont nombreuses, des jeux de mots, des figures de style, des images insolites, incongrues qu’il n’est pas toujours facile de capter. Ainsi, alors qu’ils partent Nico raconte : “…et nous filâmes comme deux pelotes de laine au son du rouet.” Il place des réflexions cocasses, qui interpellent tant elles sont frappées du bon sens. Baptisant son peintre Jacques Lepoil, il explicite : “Les écrivains ont bien des noms de plume, pourquoi les peintres n’auraient pas des noms de poils ?“
Il adore le second degré et joue des masques. En évoquant la conquête de l’Angleterre par Guillaume dès 1066, il met entre parenthèses : “Un jour je demanderai à mon grand ami Gordon Zola d’en faire une belle épopée burlesque.”
L’auteur donne des avis pertinents sur l’Histoire, raconte le martyre d’Aunay-sur-Odon en 1944 et évoque le point de vue de certains Normands vis-à-vis de la perfide Albion. Il explicite comment le plan Marshall a colonisé l’Europe, les vraies raisons de la décision de Churchill de bombarder la flotte française à Mers el-Kébir.
Désirée la Forteresse et son char d’assaut est un livre débordant de tendresse avec cette relation fusionnelle entre un petit garçon et sa grand-mère, avec cette relation imagée du cinéma, le tout dans un bain d’humour salutaire.
serge perraud
Erick George-Egret, Désirée la Forteresse et son char d’assaut, Le Léopard Masqué, septembre 2018, 256 p. – 18,00 €.
Tout simplement sensass!!!